Introduction à la science des Attributs divins
(Partie 4)
Voir notamment :
e-nafî fî bâb sifât Allah qui à l’origine est une thèse universitaire
ès magistère du chercheur Azraq ibn Mo
hammed Su’aïdân ayant eu pour encadreur
Sheïkh U. D. Mo
hammed ibn Khalîfa e-Tamîmî.
Les deux sortes de négation
Il est possible de recenser deux sortes de négation dans les textes : générale et détaillée. Nous allons nous intéresser ici à la négation détaillée : celle-ci se subdivise en deux sous-ensembles :
- Intrinsèques (la mort, la somnolence, le sommeil, l’ignorance, l’oubli, la négligence, la fatigue, l’incapacité, l’avarice, la pauvreté, l’injustice, etc.).
- Extrinsèques (avoir un père, un enfant, une compagne, un rival, etc.
La négation intrinsèque de l’oubli
Penchons-nous ici sur la négation intrinsèque de l’oubli qui est antonyme au savoir parfait. Plusieurs textes y font mention, notamment : Abû Dardâ (t) est l’auteur d’un
hadîth qu’il fait remonter au Prophète (r) : «
Le licite c’est ce qu’Allah vous a autorisé, et l’illicite c’est ce qu’Il vous a interdit. Les choses sur lesquelles Il s’est tu, Il vous en a épargné ; alors, acceptez ce qu’Il vous a épargné, car Il n’a rien oublié. » Puis, il récita :[
Ton Seigneur n’était pas oublieux].
[1] Rapporté par el Bazzâr, ibn Abî
Hâtim, et e-
Tabarânî.
[2]
Abû Tha’laba el Khushanî (t) ramène un
hadîth qu’il fait remonter au Prophète (r), et disant : «
Allah vous a prescrit des obligations à ne pas négliger, des limites à ne pas dépasser, et des interdictions à ne pas enfreindre. Il s’est tu sur certaines choses par miséricorde envers vous, non par oubli, alors ne soyez pas pointilleux dessus. » Ce
hadîth est bon, il est notamment rapporté par e-Dâraqu
tnî.
[3]
Or, certains textes semblent au premier abord dirent le contraire. Nous avons à titre d’exemple : [
Comme ils ont oublié Allah, Il les a oubliés].
[4]
Comment conjuguer entre ces textes ?
La première forme d’oubli, qui a des connotations péjoratives, est différente de la seconde qui vient en réaction et en punition aux agissements des mécréants, selon le principe que la rétribution est de même nature que le crime. D’ailleurs, les mécréants eux-mêmes n’ont pas perdu, dans un premier temps, le souvenir des Versets, mais ils les ont démentis et s’en sont tout simplement détournés. Ils auront donc droit au même traitement, bien qu’au même moment, rien n’échappe au savoir du Très-Haut.
[5]
Allah (I) révèle : [
Ils donnent à Allah ce qu’ils détestent pour eux-mêmes, et, ils profèrent, ensuite, le mensonge qu’une heureuse issue leur sera réservée, mais, nul doute, qu’ils auront plutôt droit à l’Enfer où ils seront oubliés]
[6] ; [
et ne suis pas tes passions, car elles vont t’écarter de la voie du Seigneur ; ceux qui s’en écartent auront un châtiment terrible, pour avoir oublié le Jour des comptes]
[7] ; [
Moi, je vous éclairerais sur la bonne voie, en la suivant vous ne serez ni égarés ni malheureux • Mais, celui qui se détourne de mon rappel mènera une vie terrible, et Nous le ramènerons aveugle le Jour de la résurrection • Il dira : Seigneur ! Pourquoi me ressuscites-tu aveugle, alors que sur terre, j’étais voyant ? • Il répondra : Nous t’avons bien envoyé Nos signes, et toi, tu les as oubliés ; alors, c’est à ton tour aujourd’hui, d’être oublié • C’est de cette façon que Nous rétribuons les outranciers qui ne croient pas aux signes de Leur Seigneur].
[8]
Selon une hypothèse, « oublier » a le sens ici d’abandonner de délaisser.
[9]
Au niveau de la langue, il a, en effet, deux définitions :
1- Délaisser une chose en en ayant perdu le souvenir (déficience mentale) ou par négligence. Des textes vont dans ce sens ; par exemple : [
Seigneur, ne nous tiens pas rigueur de nos oublis et nos erreurs]
[10] ; «
Apprenez l’héritage et enseignez-le, car il représente la moitié du savoir, mais il sera oublié ; c’est la première chose qui sera enlevée à ma communauté. »
[11] Il va sans dire que celle-ci ne convient absolument pas au Très-Haut.
2- Délaisser une chose sciemment, comme c’est le cas dans le Verset précédemment cité, mais elle ne Lui convient qu’avec la même restriction, non dans l’absolu,
[12] comme nous l’avons vu dans la règle précédemment citée. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans le chapitre des Actions volontaires !
Le malal
Au niveau de la langue, le
malal ou la
saâma signifie s’ennuyer, se lasser, trouver lourd, avoir du rejet pour une chose après l’avoir aimé, ce qui pousse à s’en détourner.
Nous retrouvons ce vocable dans le
hadîth suivant : «
Vous les hommes, choisissez les actes qui sont à votre portée, car Allah ne se lasse pas avant que vous ne vous lassiez ; les meilleurs actes pour Allah sont ceux qui durent, même s’ils sont peu. »
[13]
De nombreux commentateurs de
hadîth se sont penchés sur ce texte. E-Nawawî, pour ne citer que les plus connus d’entre eux, explique qu’il est impossible de qualifier le Créateur par un attribut qui est propre aux créatures. Il incombe donc, à ses yeux, d’avoir recours au
ta-wîl (l’interprétation). Pour les grands spécialistes, poursuit-il, il signifie qu’Allah ne se comporte pas avec Ses serviteurs de la même manière que les hommes enclins à la lassitude. Il prodigue sans compter, ses faveurs et ses récompenses n’ont pas de limites. Ce sont donc les hommes qui se fatigueront en premier, bien qu’Il ne se fatigue jamais.
Quoique Nawawî impute également aux savants une autre hypothèse selon laquelle Allah ne se lasse jamais, mais ce sont les créatures qui se lassent. Il donne l’exemple de l’expression : un tel n’est jamais en panne d’arguments avant ses adversaires. Autrement, il ne perd jamais ses débats, sinon, il n’aurait aucun mérite.
[14]
Or, nous ne concevons pas à l’Imam Nawawî que nous devons, pour échappatoire, avoir recours au
ta-wîl, qui, rappelons-le, correspond à faire passer un terme de son sens propre à son sens figuré lorsque le contexte où certains éléments l’autorisent. En d’autres termes, il consiste à faire abstraction du sens propre d’un mot. Cette définition, qui fut établie par les néo-scolastiques, ne respecte pas le sens étymologique du
ta-wîl ni celui qui était en vigueur chez les anciens. Retenons simplement ici qu’il n’est besoin de faire aucune pirouette pour comprendre ce texte on ne peut plus clair. L’Imam lui-même propose deux hypothèses qui restent fidèles à son sens propre.
D’ailleurs, la suite de notre démonstration va dans ce sens. Le grand linguiste ibn el Athîr, y va de sa propre explication. Il propose trois hypothèses toutes aussi loin du
ta-wîl les unes que les autres, et que voici en résumé :
1- Allah ne se lasse jamais que vous vous lassiez ou non, dans le même registre que l’expression française :
quand les poules auront des dents.
2- Allah ne se détourne pas de vous avant que vous soyez moins entrain à faire le bien et à vous rapprocher de Lui. Ainsi, dans les deux cas, le verbe n’est pas à prendre dans le sens de lasser. Ce procédé est connu chez les Arabes qui utilisent un verbe à la place d’un autre qui va dans le même sens.
3- Allah ne cessera jamais de vous combler de Sa Grâce jusqu’à ce que vous-même vous cessiez de Lui demander de vous en donner. Ce genre de parallélisme est courant dans la langue arabe et le Coran. Cette figure de style consiste à juxtaposer un terme similaire ayant chacun un sens différent. Donc, le
malal de l’un est différent du
malal de l’autre.
[15] En voici deux exemples du Coran : [
en rétribution à un mal, un mal de même nature]
[16] ; [
à celui qui s’attaque à vous, attaquez-vous à lui de la même façon].
[17]
Ibn
Hajar, pour sa part, met également en lumière ce parallélisme entre deux homophones ou homographes (chacun des deux mots qui ont une orthographe identique, mais un sens différent). Nous sommes donc dans le domaine du procédé rhétorique (
majâz), mais sans forcément être une métaphore (Procédé rhétorique consistant à utiliser un terme concret dans un sens abstrait sans comparaison explicite). Il ramène ensuite plusieurs propositions que voici :
1- El Qur
tubî explique ce qu’il faut entendre par
majâz ici. Le
hadîth veut nous dire qu’Allah cesse de donner des récompenses à ceux qui cessent d’œuvrer, et qu’il exprime par le terme
malal. Cela revient à exprimer une chose par sa cause.
2- Pour el Harawî, Allah ne cessera jamais de vous combler de Sa Grâce jusqu’à ce que vous-même vous cessiez de Lui demander de vous en donner.
3- Pour d’autres, Il ne cessera de vous récompenser jusqu’à ce que vous cessiez de faire des efforts.
Or, la particule
hatta (tant que, jusqu’à ce que) marque ici la fin d’une action, d’un événement finissant au moment de. Ensuite, il ramène plusieurs suppositions que nous avons évoquées plus haut, avant d’enchainer : la particule
hatta peut avoir un sens de conjonction de coordination. La phrase serait construite ainsi : Allah ne se lasse pas, et vous vous lassez. Selon une dernière hypothèse, quoi que moins consistante,
hatta est à prendre dans le sens de
hîn (au moment de).
Retenons, toutefois, que la première hypothèse parlant du parallélisme entre deux homophones est la plus pertinente.
[18]
Rares sont les ouvrages d’anciens qui se sont étalés sur ce
hadîth, en dehors peut-être d’Abû Mo
hammed ibn Qutaïba et d’ibn ‘Abd el Barr. Pour le premier, il est l’auteur des paroles que nous a rapporté Nawawî et disant en substance : Allah ne se lasse jamais, mais ce sont les créatures qui se lassent. Il donne l’exemple de l’expression : un tel n’est jamais en panne d’arguments avant ses adversaires. Autrement, il ne perd jamais ses débats, sinon, il n’aurait aucun mérite.
[19]
Pour le second, il se contente de relater la tendance d’ibn el Qâsim qui ne voyait pas d’inconvénients à rapporter des
hadîth sur le « Rire », la « descente », la « lassitude », « l’étonnement » d’Allah, étant donné que ces Attributs étaient différents de ce qu’on trouve chez les humains.
[20]
Certains contemporains se sont penchés sur cette question, à l’image de l’ancien
Mufti d’Arabie Saoudite, Mo
hammed ibn Ibrahim qui considère le
malal comme un Attribut d’Allah comme il sied à Sa Majesté.
[21]
Sheïkhel ‘Uthaïmîn, quant à lui, ne fait que recenser les diverses opinions des savants sur la question, et qui, à ses yeux, sont au nombre de trois :
1- Le
malal est un Attribut divin qu’il incombe de reconnaitre comme il sied à Sa Majesté, en sachant qu’Allah n’a aucun défaut. En cela, Son
malal n’est pas comparable à celui des créatures déficientes. Nous disons plutôt qu’il est parfait comme pour tous les autres Attributs.
2- Allah ne se lasse pas de récompenser Ses fidèles serviteurs, aussi zélés soient-ils dans l’adoration ; Il ne lassera que quand ils se lasseront eux-mêmes, donc, il ne faut pas avoir peur d’œuvrer. Ainsi, ce passage fait allusion aux implications du
malal, non du
malal en lui-même.
3- Il n’est pas du tout question de
malal dans ce
hadîth. C’est comme quand on dit : je ne me lèverais pas tant qu’un tel ne se lève pas en premier. Cela n’implique pas forcément de se lever.
[22]
Ailleurs, il a un discours qui va dans ce sens. Autrement dit, si nous considérons qu’il s’agit d’un Attribut divin, alors conformément à la règle dans ce domaine, il s’agit d’un Attribut parfait, non sujet à la fatigue et à l’ennui, contrairement aux êtres humains.
[23]
Récapitulatif
Il existe donc deux tendances chez les traditionalistes sur la question :
Primo : une tendance qui voit que le
malal est un Attribut divin.
Sheïkh el ‘Uthaïmîn l’impute à certains savants. Il fait peut-être allusion à l’annale d’ibn el Qâsim rapportée par ibn ‘Abd el Barr, et la
fatwa de l’ancien
Mufti précédemment citées.
Secundo : une tendance aux yeux de qui il n’est pas un Attribut, et qui lui donnent plusieurs orientations. Parmi les plus anciens recensés y ayant adhéré, nous avons ibn Qutaïba qui sera suivi par un grand nombre de commentateurs de
hadîth.
Les différentes orientations données
A- Allah ne cessera jamais de vous combler de Sa Grâce jusqu’à ce que vous-même vous cessiez de Lui demander de vous en donner. Ce genre de parallélisme est courant dans la langue arabe et le Coran.
B- Il ne cessera de vous récompenser jusqu’à ce que vous cessiez de faire des efforts.
C- La particule
hatta (tant que, jusqu’à ce que) marque ici la fin d’une action, d’un événement finissant au moment de. Elle peut prendre également le sens de
hîn (au moment de). Autrement dit, Allah ne se lasse jamais que vous vous lassiez ou non.
D- La particule
hatta peut avoir un sens de conjonction de coordination. La phrase serait construite ainsi : Allah ne se lasse pas, et vous vous lassez.
E- La plus éloignée des tendances est basée sur le
tafwîdh. Ibn
Hajar l’a relatée en plus de celles que nous avons évoquées plus haut.
Conclusion
En définitive, ce
hadîth n’entre nullement dans le domaine des Attributs divins. C’est même le contraire qui est vrai. Le
malal, en effet, est un défaut sous tous les points de vue, et on ne voit pas comment on pourrait lui trouver un côté positif, contrairement à la ruse et à la moquerie. Ce sont certes, au départ, des défauts, mais, en réaction aux agissements de ceux qui rusent et qui se moquent de la religion, avec cette restriction, ils prennent une tournure parfaite. La rétribution étant de même nature que le crime. Or, on ne peut pas en dire autant de la lassitude. Cela ne veut pas dire pour autant qu’on doit avoir recours au
ta-wîl pour l’expliquer, étant donné qu’on trouve la solution au problème qu’il peut poser au premier abord dans les tournures rhétoriques utilisées dans la langue arabe. C’est, d’ailleurs, cette orientation que l’Imam ibn Qutaïba a adoptée. Celui-ci fut suivi par la suite par la plupart des commentateurs de
hadîth.
En réalité,
Sheïkh el ‘Uthaïmîn ne donne pas sa position sur le sujet, ou du moins, pas de façon tranchante. Il ne fait que recenser les diverses orientations qui ont été faites dessus. Ensuite, il conclut comme pour faire une synthèse des différentes opinions et pour conjuguer entre elles, que si nous considérons qu’il s’agit d’un Attribut divin, alors conformément à la règle dans ce domaine, il s’agit d’un Attribut parfait, non sujet à la fatigue et à l’ennui, contrairement aux êtres humains.
[24] Il ne fait qu’émettre une hypothèse, comme pour nous dire que dans tous les cas, Allah est purifié de tout défaut, et cela, quand bien même le texte en question entrerait dans le domaine des Attributs divins,
wa Allah a’lam !
J’ai écrit cette analyse tout en veillant à rester dans les limites du bon sens. Je ne désire rien d’autre que d’apporter la réforme dans les limites du possible, et Allah est Seul garant du résultat !
[1]Mariam ; 64
[2]Rapporté par el Bazzâr dans
kashf el astâr (123, 2231), et e-
Tabarânî dans
musnad e-shâmiyîn (2102).
[3]Rapporté par e-Dâraqu
tnî (42), et el Baïhaqî dans
e-sunan el kubrâ (12509).
[4]Le repentir ; 67
[5]Majmû’ el fatâwâ (16/348).
[6]Les abeilles ; 60
[7]Sâd ; 26
[8]Tâ-Hâ ; 123-127
[9]Mufradât alfâzh el Qur-ân de Râhib el A
sfahânî (p. 803).
[10]La vache ; 286
[11]Rapporté par ibn Mâja (2719), selon Abû Huraïra (t).
[12]Voir notamment :
Majmû’ el fatâwâ (13/135).
[13]Rapporté par el Bukhârî (5821), et Muslim (1824), selon ‘Âisha.
[14]Sharh sahîh Muslimde Nawawî (6/312).
[15]E-nihâya fî gharîb el hadîth(4/360).
[16]La concertation ; 40
[17]La vache ; 194
[18]Fath el Bârîd’ibn
Hajar (1/126).
[19]Ta-wîl mukhtalaf el hadîthd’ibn Qutaïba (p. 237-238).
[20]E-tamhîd d’ibn ‘Abd el Barr (7/152).
[21]El fatâwâ wa e-rasâil de Mo
hammed ibn Ibrahim (1/126).
[22]Majmû’a durûs wa fatâwâ el haram el makkî (1/152) de
Sheïkh el ‘Uthaïmîn ; voir également :
Majmû’ el fatâwâ wa e-rasâil (1/173-174) du même auteur.
[23]Majmû’ el fatâwâ wa e-rasâil (1/174) de
Sheïkh el ‘Uthaïmîn.
[24]Majmû’ el fatâwâ wa e-rasâil (1/174) de
Sheïkh el ‘Uthaïmîn.