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ÞÏíã 12 May 2013, 08:53 AM
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ÇÝÊÑÇÖí Jahm ibn Safwân





Jahm ibn Safwân

(Partie 1)

Louange à Allah le Seigneur de l’Univers ! Que les Prières et le Salut d’Allah soient sur notre Prophète Mohammed, ainsi que sur ses proches et tous ses Compagnons !

Voir notamment : maqâlât el Jahm ibn Safwân wa atharuhâ fî el firaq el islâmiya qui est au départ une thèse es Magistère du chercheur Yâsir Qâdhî.

Introduction

L’un des grands facteurs ayant contribué à l’expansion du jahmisme dans les rangs des musulmans, est, à partir du deuxième siècle de l’hégire, la traduction des ouvrages distillant l’héritage philosophique gréco-romain.[1]

L’i’tizâl primitif ne contestait ni les attributs divins ni le caractère incréé du Coran (khalq el Qur-ân), mais la tendance évolua sous l’influence de Jahm. L’Imam Ahmed témoigne en parlant d’ibn Safwân : « Il vouait à la mécréance tous ceux qui, accusés d’assimilateurs (mushabihha), qualifiaient Allah comme Il s’est qualifié Lui-même dans Son Livre, ou comme nous l’a informé Son Messager. Son discours en égara beaucoup. Des hommes parmi les adeptes d’Abû Hanifa et de ‘Amr ibn ‘Ubaïd à Bassora le suivirent. Il fondait la religion des jahmites. »[2]

Les premiers négateurs (nufât) imaginaient un Seigneur ayant uniquement des Attributs négatifs (sifât salbiya) ou d’annexion (idhâfiya), on encore une combinaison des deux. L’Ami d’Allah ibrahim fut confronté aux philosophes sabéens qui véhiculaient ce concept. Sous l’ère musulmane, des hommes comme Jahd ibn Dirham, et plus tard Abû Nasr el Fârâbî, s’inscrivirent dans leur lignée. Le dernier cité visita Harrân et approfondit ses connaissances philosophiques auprès des grands maitres sabéens de la ville. L’Imam Ahmed souligne que Jahm également fit ses premiers pas initiatiques à Harrân. Ainsi, la chaine pédagogique des jahmites remonte à des juifs ou à des philosophes sabéens ou païens.[3]

C’est la raison pour laquelle, les adeptes du ta-wîl s’inspirent plus des penseurs musulmans comme ibn Sîna que des grandes références traditionalistes des premiers siècles. Il leur arrive certes de reprendre certaines citations des anciens à leur compte, mais c’est uniquement pour les interpréter selon leur jargon. Et, quand toutes les portes de l’interprétation se ferment devant eux, ils ont recours au tafwîdh, en prétextant qu’Allah Seul est à même de pénétrer le sens de ces textes.

Ainsi, les vraies références des négateurs sont plutôt à chercher du côté des Qarmates, des bâtinites ésotéristes (ismaéliens, nusaïrites, etc.), et des philosophes athées ou soufies panthéistes, adeptes du monisme. Nous avons dans ce cercle ibn Sîna, el fârâbî, ibn ‘Arabî (qui a pour équivalent Spinoza, chez les philosophes Juifs ndt.), ibn Sib’în ; et les chefs de file des jahmites, avec à leur tête, Jahm et son maitre à penser el Ja’d, mais aussi Abû el Hudhaïl el ‘Allâf, Abû Ishâq e-Nadhdhâm, Bishr el Mirrîsî, Thumâma ibn el Ashras, etc.[4]

Or, en faisant une étude comparative des religions, on s’aperçoit avec force que le ta-wîl islamique ressemble étrangement au ta-wîl juif et chrétien. La ressemblance est telle qu’ils donnent l’impression d’avoir été nourrie aux mêmes mamelles. Les musulmans reprendront les procédés que les adeptes du judaïsme utilisaient pour tronquer les textes de la Thora.[5]

Ibn Tarkhân el Fârâbî (m. 339 h.) était passé par Harrân dans son parcours initiatique. Il est le premier philosophe musulman à élargir les notions de la théologie grecque, aux enseignements de l’Islam comme dans son livre Ârâ el madîna el fâdhila. Il est considéré comme le « le deuxième Maitre » après Aristote.[6] À ses yeux, le philosophe est plus parfait qu’un prophète. Il fut frappé d’anathème par ibn Taïmiya.[7]

Ibn Sînâ (m. 428 h.) marcha dans les traces d’el Fârâbî. Il résuma la pensée aristotélicienne et péripatéticienne[8] auxquelles il ajouta un discours religieux qu’il emprunta aux adeptes du Kalâm. Il réussit ainsi à donner plus de cohérence au discours des « anciens », grâce à sa culture de la lumière prophétique.[9] De l’école hanafî, il était un « démon humain » pour reprendre l’expression d’ibn e-Salâh.[10] El Ghazâlî n’hésita pas à le sortir de la religion,[11] bien que lui-même fût un admirateur de la logique grecque. Ce dernier prétendit l’avoir apprise de la langue des prophètes, mais en fait il la trouva dans les écrits…. d’Avicenne, qui s’inspirait directement des œuvres d’Aristote.[12] El Kawtharî reconnaitra ce verdict d’el Ghazâlî contre le Raîs, mais cela ne l’empêchera nullement de prendre sa défense.[13] Il était considéré par les mâturidites comme un wali auteur de miracles notoires[14] ; le grand savant diyûbandî el Kushmaïrî n’hésita pas à dire de lui qu’il n’était qu’un zindîq athée affilié à la secte ésotérique des qarmates.[15]

Pourtant, son ishârât wa e-tanbihât est la « Bible » des mutakallimîns.[16]

Jahm ibn Safwân ; sa biographie

Nous savons peu de choses sur ce personnage étrange, mais une chose est sûre est qu’il s’appelle Abû Mahraz, Jahm (ou el Jahm) ibn Safwân, un affranchi, non arabe des Banû Râsib, une tribu Qahtanîte installée à Bassora.[17] Selon certains historiographes, il serait né à Samarkand. D’autres parlent d’el Kharz, Balkh, Koufa, Murû, voire Harrân. Pour ibn Taïmiya, il serait plutôt originaire de Turmudh.[18] En fait, il serait probablement né à Samarkand, mais exilé à Turmudh où il aurait passé sa jeunesse et prit son essor.[19]

Une chose est sûre, c’est qu’il vient d’Asie centrale, au nord du Khurâsan, soit à l’est du monde musulman. Le Prophète (r) avait prédit que la fitna viendrait de l’Orient.[20] L’un des hadîth sur le sujet est particulièrement révélateur : « La tête de la mécréance viendra de l’Orient. »[21]

Un grand point d’interrogation règne sur l’identité de ses parents et sur sa jeunesse, si ce n’est qu’il visita plusieurs régions. Après son avènement à Turmudh, il voyagea à Balkh où il fréquentait la même mosquée que l’anthropomorphiste Muqâtil ibn Sulaïmân avec qui il débattait. Il fit un saut par Koufa où il fit connaissance de son mentor, el Ja’d ibn Dirham.[22] Il prit également contact avec el Hârith ibn Suraïj, ce qui veut dire qu’il passa par Murû.

Nous ne connaissons pas non plus la date de son avènement. Nous savons juste qu’il afficha son hérésie dans le Khurasân sous l’ère d’Hishâm ibn ‘Abd el Mâlik, de la dynastie omeyyade, soit entre 105 et 120 de l’Hégire.[23]

El Ja’d ibn Dirham

El Ja’d ibn Dirham (m. 124 h. sic) fut le maitre attitré de Jahm à l’unanimité des hérésiographes. Il fut le premier négateur des Attributs divins sur les pas des Juifs et des païens, notamment des sabéens. Jahm fut le grand porte-parole de son crédo. La secte s’organisa sous sa coupe et elle lui doit son patronyme aux dépens de son père spirituel el Ja’d.[24] D’origine kurde (ou peut-être persane), il naquit à Harrân. Il fut affecté à l’instruction de Marwân el Himâr, le dernier Khalife omeyyade, baptisé Marwân el Ja’dî. Cet affranchi rallié à la tribu de Suwaïd el Ju’fî fut tristement célèbre pour avoir été le premier à parler du caractère créé du Coran, et à renier des Attributs comme la Parole, l’Amour. Contrairement à son disciple Jahm, il donnait foi au destin.[25]

L’émir Khâlid ibn ‘Abd Allah el Qusarî le mit à mort à la descente de sa chaire devant une foule immense qui s’était rassemblée à l’occasion de la fête du mouton.[26] L’évènement se passa entre 106 et 119 h. qui marque la destitution de l’émir, et même probablement bien avant, soit avant l’année 110 h.[27]

Ibn Dirham n’en était pas à son premier méfait. Bien avant l’affaire el Qusarî, il posait des questions étranges à Wahb ibn Munabbih sur les Attributs comme la Main, les Yeux, le Visage.[28] Il emprunta ses idées à Abân ibn Sam’ân (m. ? h.), qui l’emprunta à Tâlût. De confession Juive (m. ? h.), il fut connu pour être un zindîq (penseur-libre), et le premier à écrire un ouvrage pour vanter le caractère incréé de la Thora. L’oncle maternel de Tâlût qui était également son gendre, Labîd ibn el A’sam, (m. ? h.) était le premier élément de la chaine ténébreuse du ta’tîl, lui, le fameux Juif qui fit un sortilège au Prophète (r). Dans la lignée des Juifs du Yémen dont il s’inspire, il voyait également le caractère créé de la Thora.[29]

Harrân,[30] la ville natale d’el Ja’d, était la cité des sabéens, où Ibrahim serait né (une autre hypothèse avance qu’il serait en fait venu d’Iraq). Ces derniers construisirent plusieurs temples en hommage à la « cause première », au « premier intellect », au soleil, à la lune etc. La religion chrétienne s’est installée à Harrân,[31] mais le sabéisme perdura jusqu’aux conquêtes musulmanes. Il resta toujours des philosophes sabéens dans le nord de l’Iraq et à Bagdad où ils exercèrent les professions de médecins et d’écrivains, mais certains d’entre eux ne se convertirent pas à l’Islam. El Fârâbî est passé par Harrân au quatrième siècle de l’Hégire. Il s’est inspiré de sa culture philosophique auprès de ses habitants. Le philosophe sabéen Thâbit ibn Qurra (m. 288 h.) avait déjà fait le commentaire de « la métaphysique » d’Aristote.

Il existe deux sortes de sabéens : les monothéistes et les polythéistes. Les monothéistes étaient soumis aux lois de la Thora puis à l’Évangile avant leur abrogation. À la première époque, les sabéens suivaient la religion d’Ibrahim fidèle à Dieu (hanîf). Par la suite, ils ont innové certaines formes d’associations et ils sont devenus païens sur les pas de Nemrod et des Chaldéens.[32]

Par ailleurs, en plus de l’influence sabéenne et païenne qui pesa sur les adeptes du ta-wîl et le ta’tîl, il faut compter l’apport juif comme nous l’avons vu. El Ja’d ibn Dirham est le premier à interpréter l’istiwâ d’Allah sur Son trône par istawlâ. Jahm, son élève, reprit cette opinion à son compte et en devint même la figure emblématique aux dépens de son maitre.[33]

La rencontre entre les deux hommes (Ja’d et Jahm) eut lieu à Koufa. Ja’d avait dû fuir la capitale omeyyade, Damas, où il propageait son venin (le caractère créé du Coran), à la grande colère de la famille régnante qui avait mis sa tête à prix.[34] Jahm prit de lui les premiers balbutiements du ta’tîl que lui-même développa par la suite.[35] Ils transmirent à eux d’eux l’héritage de la religion sabéenne, Brahmane, chaman (hindoue), Juive (et ses pratiques magico-religieuses), chrétienne (ayant elle-même avec la religion juive reçue l’influence grecque comme nous allons le développer) dans les rangs des musulmans.[36]

À suivre…




[1] Voir : el hamawiya (p. 26-27), majmû’ el fatâwâ (5/22-24), et e-rasâil el kubrâ (1/436-437) d’ibn Taïmiya.

[2] E-rad ‘alâ el jahmiya (103-105).

[3] Voir : el hamawiya (p. 25), majmû’ el fatâwâ (5/22), et e-rasâil el kubrâ (1/435-436).

[4] Voir : dar-u e-ta’ârudh d’ibn Taïmiya (5/359-360).

[5] Voir : e-sawâ’iq el mursala (1/361) d’ibn el Qaïyim.

[6] Voir : el jawâb e-sahîh (3/214-215), et Majmû’ el fatâwâ (2/82).

[7] Voir : dar-u e-ta’ârudh (1/10) et Majmû’ el fatâwâ (2/67, 86).

[8] « Péripatéticienne » vient de peripatein (περιπατεῖν), « se promener ». Le Lycée d’Aristote était situé sur un lieu de promenade (peripatos) ou bien le maître et les disciples philosophaient en marchant. Les aristotéliciens sont "ceux qui se promènent près du Lycée". Le mot « Lycée » vient de ce que le lieu est voisin d'un sanctuaire dédié à Apollon Lycien.

[9] Manhâj e-Sunna (1/347-348).

[10] Fatâwâ ibn e-Salâh (1/209).

[11] Voir : tahâfut el falâsifa (p. 254) et el munqidh min e-dhalâl (p. 21).

[12] Voir : e-rad ‘alâ el muntiqyîn (14-15).

[13] Voir : Tabdîd e-zhalâm (p. 137) d’el Kawtharî

[14] Voir : el jawâhir el mudhiya (2/64).

[15] Voir : faïdh el Bârî (1/166).

[16] Voir : dar-u e-ta’ârudh d’ibn Taïmiya (6/19).

[17] Târîkh e-Tabarî (7/335).

[18] Majmû’ el fatâwâ (14/351).

[19] El bidâyâ wa e-nihâyâ d’ibn Kathîr (9/405).

[20] Les hadîth en question sont rapportés par el Bukhârî (3511, 3497) et Muslim (7223).

[21] Rapporté par el Bukhârî (3301) et Muslim (183, 191), selon Abû Bakra (t).

[22] El bidâyâ wa e-nihâyâ d’ibn Kathîr (9/405).

[23] Majmû’ el fatâwâ (20/302).

[24] El hamawiya d’ibn Taïmiya (p. 233-235).

[25] El farq baïna el firaq d’el Baghdâdî (p. 250).

[26] E-radd ‘alâ el jahmiya de Dârimî (p. 13).

[27] Maqâlat e-ta’tîl wa el Ja’d ibn Darham du D. Tamîmî (p. 157).

[28] ‘Aqîda ashâb el hadîth de Sâbûnî (p. 45).

[29] El hamawiya d’ibn Taïmiya (p. 243).

[30] Harrân était la ville natale d’ibn Taïmiya. À l’âge de six ans, il prit la route de Damas au sein de sa famille pour échapper aux invasions mongoles. Il est intéressant de comparer cet événement avec l’annonce prophétique disant : « Il y aura émigration après émigration, et les hommes (dans une version les meilleurs hommes) vont se réfugier sur la terre d’émigration d’Ibrahim. » Rapporté par Ahmed (1/83, 198, 199). Ibrahim en effet a dû fuir d’Iraq pour se réfugier sur les terres du Shâm. Les mauvais événements sont souvent précurseurs d’évènements heureux. Est-ce une bonne nouvelle à une époque où bon nombre d’Irakiens se sont installés en Syrie en vue d’échapper aux invasions… anglo-saxonnes ?

[31] Hélène la mère de l’Empereur Constantin était originaire de Harrân. Les savants et les moines chrétiens se sont rendu compte que les Romains et les Grecs n’allaient pas se détacher facilement du paganisme. C'est pourquoi ils leur ont concocté une religion à mi-chemin entre celle des prophètes et celle des païens. (Voir : E-Rad ‘alâ el Muntiqyîn (335).

[32] El hamawiya (p. 248, 250), et majmû’ el fatâwâ (5/20, 21).

[33] Voir : el hamawiya (p. 24), et majmû’ el fatâwâ (5/20).

[34] El bidâyâ wa e-nihâyâ d’ibn Kathîr (9/405).

[35] Majmû’ el fatâwâ (12/119).

[36] Majmû’ el fatâwâ (6/51, 10/67).


ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
  #2  
ÞÏíã 13 May 2013, 05:14 PM
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Jahm ibn Safwân

(Partie 2)

L’imam Ahmed en parlant des innovateurs : « Ils utilisent un vocabulaire ambigu afin d’induire en erreur les ignorants avec leurs arguments fallacieux. » [E-radd ‘alâ el jahmiya wa e-zanâdiqa de l’Imâm Ahmed (p. 85).]

L’influence chamaniste

Un jour, Jahm eut un débat avec des chamanistes (probablement des Indiens qui venaient du Khurasân), ce qui laissa en lui, des traces indélébiles, à tel point qu’il cessa de prier quarante jours durant lesquels il fut envahi par un scepticisme étouffant. Il doutait de l’existence de Dieu, mais se reprit avec, malgré tout, des séquelles.[1] Il renia l’élévation d’Allah, la vision, et adhéra au panthéisme qui confond Dieu et la matière.

Les chamanes croient à la prééternité de l’Univers, à la manière des agnostiques, à la réincarnation, et ils renient la résurrection. Certains savants les font ressembler aux mazdéens, peut-être à cause de ce dernier point.[2] Pour eux, la connaissance et même l’existence, incarne tout ce qui est à la portée des cinq sens.

L’Imam Ahmed nous relate des passages de ce débat entre Jahm, qui était pourtant un grand polémiste, et ces païens qui lui proposèrent la chose suivante : « Nous te proposons un marché, laisse-nous parler avec toi, et si nous prenons le dessus sur toi, alors tu devras intégrer notre religion, et si c’est le contraire, alors c’est nous qui entrerons dans la tienne. »

Il accepta le marché, et ses vis-à-vis prirent la parole pour lui lancer notamment : « Tu prétends avoir un Dieu, n’est-ce pas ?

Oui !

Est-ce que tu l’as vu ?
Non !
Est-ce que tu as entendu sa parole ?
Non !
Est-ce que tu l’as senti ?
Non !
Est-ce que tu l’as touché ?
Non !
Est-ce que tu l’as goûté ?
Non !
Comment sais-tu alors qu’il est un dieu ? »

Jahm fut pris par un grand désarroi, et demanda un temps de réflexion pendant lequel il s’isola chez lui et arrêta complètement la prière sous prétexte qu’il ne pouvait pas adorer un dieu dont il ignorait tout de lui.

Tout polémiste qu’il était, il revint à la charge avec en main un argument qu’il avait concocté sur le modèle des chrétiens trinitaires. Ces derniers prétendent que l’âme insufflée à Jésus est issue de Dieu en personne. Ils comparent la chose à un morceau de tissu emprunté à un vêtement. Dieu serait entré dans le corps de son fils et aurait parlé à sa place. Il serait donc un esprit invisible.

Content de sa réponse, il retourna les voir pour leur fustiger : « Vous prétendez qu’une âme anime vos corps, n’est-ce pas ?

Oui !
L’avez-vous vu ?
Non !
Avez-vous entendu ses paroles ?
Non !
L’avez-vous touché ?
Non !
C’est la même chose pour Allah le Tout-Puissant ! On ne peut le voir ni sur terre ni dans l’au-delà, il est partout (et selon une version : on ne le voit pas, on ne l’entend pas, on ne le sent pas, et il est invisible à la vue), soit indistinctement dans tous les endroits. »

Certaines versions rapportent qu’il leur lança également : « Il est comme l’air, lié à toute chose, partout, soit indistinctement dans toute chose. »[3]

Il s’inspira dans son raisonnement de trois Versets : [Rien ne Lui ressemble][4] ; [Il est Allah dans les cieux et sur la terre][5] ; [Rien ne peut le cerner du regard, alors que Lui, cerne tout du regard].[6]

L’Imam Ahmed conclut ensuite : « Il fonda son discours à partir de ces trois Versets, et institua la religion jahmite. Il démentait les propos du Message d’Allah (r), et interpréta à sa façon le Livre d’Allah. Des gens parmi les adeptes d’Abû Hanifa et de ‘Amr ibn ‘Ubaïd à Bassora le suivirent, et en égara un grand nombre … »[7]

En commentaire à ce débat, ibn Taïmiya souligne que Jahm reprit point par point l’argumentation des philosophes sabéens péripatéticiens.[8]

Son niveau de science

Plusieurs de ses contemporains témoignent qu’il ne s’était jamais assis à une assemblée des savants, et n’avait aucune culture religieuse. Il était cependant doué d’une éloquence et d’une témérité qui lui permettaient de pallier ses carences.[9] Il ne rapporta jamais la moindre narration,[10] et fut enclin au kalâm qu’il promulgua autour de lui.[11] Polémiste acharné, et malgré son ignorance notoire, il composa un ouvrage en réfutation à Muqâtil ibn Sulaïmân. Nous avons vu qu’il fréquentait la même mosquée que lui et qu’il débattait avec lui lors de son séjour à Balkh. Selon ibn ‘Asâkir, Muqâtil faisait le conteur à la grande mosquée de Murû, et eut Jahm dans son auditoire. La rencontre entre les deux hommes fut électrique et ils s’invectivèrent par livres interposés.[12]

D’autres références parlent d’un livre sur les Attributs divins ; il est même possible que ce soit le précédent.[13] Il était également très actif dans la propagande de ses idées et envoyait un peu partout des courriers qu’il faisait partir du Khurasân.[14] Ceux-ci eurent leur effet et firent même des émules à l’Est de l’Empire. Ce genre de lettres ayant l’empreinte du jahmisme, se multipliait un peu partout. Même l’Imâm Ahmed eut droit à la sienne provenant d’un dénommé el Maghâzilî.[15]

Pour l’anecdote, selon Ishâq ibn ‘Îsâ el Bazzâr : « Un homme de Sûr nous rendit visite, un adepte du kalâm connu sous le nom de Sûrî. Son apparence nous plut, et son élégance nous faisait penser à un moine… Il nous disait des paroles du genre : la foi est créée, l’aumône est créée, le pèlerinage est créé, etc.

Nous ne savions pas comment lui répondre, alors nous nous rendîmes chez ‘Abd el Wahhâb el Warrâq et lui racontâmes l’évènement, mais nous eûmes pour toute réponse : « Je ne sais pas de quoi il parle, mais rendons-nous plutôt chez Abû ‘Abd Allah Ahmed ibn Hanbal, le grand érudit en la matière. »

Nous nous exécutions et, une fois chez Abû ‘Abd Allah, nous lui racontions la même chose qu’à ‘Abd el Wahhâb, et la réponse ne se fit pas attendre : « Ces questions, qui s’élèvent au nombre de soixante-dix, viennent de Jahm ibn Safwân. Rentrez chez vous et chassez-en cet homme. » »[16]

Ses « fastes »

Il était doué d’une grande éloquence et intelligence qu’il mettait au profit de ses idées ténébreuses.[17] Il mit son épouse, Zahra, et son fils Mohammed au service de sa propagande sur le caractère créé du Coran, et, ils firent, malheureusement beaucoup de dégâts. Ibn Jahm était employé chez el Ma-mûn, le Khalife abbasside de l’époque.

La plupart des livres d’Histoire soulignent que Jahm incorpora les rangs du rebelle el Hârith ibn Suraïj venu à Turmudh pour recruter des volontaires en 117 h.[18] C’est probablement à cette époque où Jahm prit les armes contre le Sultan en place, Nasr ibn Sayyâr.[19] Il joua même un rôle important dans cette insurrection, étant donné qu’il offrit sa plume au chef insoumis qui le prit comme scribe, et héraut de la révolte.[20]

À suivre…





[1] E-sunna d’el Khallâl (5/83, 87).

[2] Voir : e-tis’îniya d’ibn Taïmiya (1/240).

[3] Sharh usûl el i’tiqâd de Lâlakâî (3/424).

[4] La concertation ; 11

[5] Le bétail ; 3

[6] Le bétail ; 103

[7] E-rad ‘alâ el jahmiya wa e-zanâdiqa (p. 102-104).

[8] E-tis’îniya d’ibn Taïmiya (1/247).

[9] E-tis’îniya d’ibn Taïmiya (1/240).

[10] Mîzân el i’tidâl de Dhahabî (1/426).

[11] Sharh usûl el i’tiqâd de Lâlakâî (3/424).

[12] Voir : târîkh Dimashq (60/120).

[13] El ghuniya de Jîlânî (p. 118).

[14] E-sunna d’Abd Allah ibn Ahmed (1/183).

[15] E-sunna d’el Khallâl (5/145).

[16] E-sunna d’el Khallâl (5/93).

[17] Sharh usûl el i’tiqâd de Lâlakâî (3/424).

[18] Târîkh e-Tabarî (7/106).

[19] El farq baïna el firaq d’el Baghdâdî (p. 195).

[20] El fisal d’ibn Hazm (5/73).


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ÞÏíã 14 May 2013, 05:24 PM
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Jahm ibn Safwân
(Partie 3)


L’imam Ahmed : « Il incombe à toute personne qui s’initie à parler de figh d’éviter ces deux principes : les notions vagues et l’analogie. » Il a dit également : « La plupart des erreurs des gens proviennent de la mauvaise interprétation et de l’analogie. » [El qawâ’id e-nurâniya de Sheïkh el Islam ibn Taïmiya (2/437).]


Sa mise à mort


Son exécution eut lieu à l’extérieur des murs de Murû, sur les rives de la rivière Balkh, mardi 10 jumâdî el âkhira en l’an 128 h. ‘Abd Rabbih fut le nom du bourreau qui reçut l’ordre de condamnation de son maitre, Silm ibn Ahwaz, le chef de la garde de Nasr ibn Sayyâr. Ce dernier avait envoyé le propre fils du condamné chez les rebelles (qui avaient fait camp juste en dehors de la ville) pour pourparler avec lui et lui offrir l’amnistie.


Ce refus sonna l’assaut du camp où ses occupants furent passés au fil de l’épée. Jahm compta parmi les prisonniers et fut décapité sur place.[1]


Les spécialistes ne sont pas unanimes sur la raison de son exécution. Si la plupart avancent des raisons politiques comme nous venons de le voir, d’autres, à l’image d’ibn Taïmiya, relativisent quelque peu, en mettant en avant son hérésie qui déclencha les « foudres » du Sultan de l’époque.[2] Il avait osé dire notamment qu’Allah ne parla jamais à Mûsâ.[3]


L’Imâm Ahmed explique que les jahmites renient le caractère incréé du Coran. Lors de son fameux débat qui l’opposait à certains d’entre eux, il les entendit contester avec force qu’Allah parla à Moïse. Et lorsqu’il leur en demanda la raison, il eut pour réponse : « Allah n’a jamais parlé et ne parleras jamais. Il ne fit que concevoir une chose qui relata ses paroles ; il créa un son qu’il fit entendre en son nom. » Selon eux, poursuit l’Imâm, la parole n’est pas possible sans gosier, une langue et une bouche.[4]


Ibn Taïmiya explique que Jahm reprit l’idée à el Jahd, mais que, pour sauver sa peau, il fut obligé d’afficher son assentiment au crédo officiel qu’il détourna à l’aide d’un subterfuge en disant : « Il crée sa parole dans un endroit, comme le vent, et les feuilles des arbres. » [5] Il reconnut l’Attribut de la Parole pour échapper à l’inquisition, mais avec une nuance, en avançant qu’Allah parle, mais de façon imagée. Les philosophes sabéens disaient déjà que la parole était une émanation divine qu’Allah insuffle dans l’âme des prophètes.[6]
Philon, dont nous allons parler, commente l’épisode du mont Sinaï, en disant que ce jour-là, Yahvé fit un miracle bénit. Il ordonna la création d’un « son » invisible dans l’air. Ce « son » fut doué de la parole et se faisait entendre.[7]


Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de mal à conjuguer entre ces deux raisons, étant donné que Jahm était recherché par les armées omeyyades bien avant cette affaire, depuis l’époque où il délaissa la prière par scepticisme.[8] Ce fameux Silm ibn Ahwaz aurait même reçu une missive d’Hishâm ibn ‘Abd el Malik réclamant la tête de cet hérétique en fuite.[9]


L’influence du panthéisme hindouiste


Réf. Wiki : Le Dieu des Védas, dans l'acception panthéiste voire panenthéiste du terme, est le Brahman, qui est la Réalité Ultime, l'Âme Absolue ou Universelle (Paramatman), l'Un.
« Tu es la femme. Tu es l'homme. Tu es l'abeille bleue et le vert papillon aux yeux rouges. L'éclair est ton fils. Tu es les saisons et les mers. Tu es le Tout, tu es l'omniprésent ; tout ce qui est naît de toi. »
— Oupanishad.


Le Brahman est l'indescriptible, le neutre, l'inépuisable, l'omniscient, l'omniprésent, l'original, l'existence infinie, l'Absolu transcendant et immanent, l'éternel, l'Être, et le principe ultime qui est sans commencement et sans fin,– dans l'univers entier. Le Brahman (qui ne doit pas être confondu avec la divinité Brahmâou le nom des prêtres hindous, les brâhmanes) est vu comme l'Âme Cosmique.


Cet Absolu, que les hindous désignent aussi par le nom de tat en sanscrit (« Cela ») est par sa nature même impossible à représenter. L'Absolu est tantôt manifesté :Tat Tvam Asi (तत्त्वमसि : Tu es Cela), ou « Tout cela est Brahman » disent les Écritures, tantôt non-manifesté : « le Brahman est Vérité, le monde est Illusion », disent aussi les Écritures.
« Il se meut et il ne se meut pas, il est loin et il est proche. Il est au-dedans de tout et il est au-dehors de tout. »
— Iça Oupanishad.


Il est parfois évoqué un Brahman supérieur, le Parabrahman. Le Brahman peut en effet être considéré sans attributs personnels, sans forme (Nirgouna Brahman), d'une façon totalement abstraite, ou avec attributs, avec forme, au travers de la multitude des divinités (Sagouna Brahman).


« Si dans la Multitude nous poursuivons avec insistance l'Un, c'est pour revenir avec la bénédiction et la révélation de l'Un se confirmant dans le Multiple. »
— Shrî Aurobindo


Depuis Georges Dumézil qui a mis en lumière la fonction triadique dans les civilisations Indo-Européennes, un parallèle formel entre la trimurti et la trinité chrétienne peut être établi (ce qui n'induit pas un rapprochement théologique entre les traditions chrétiennes et hindoues) : en effet, en Inde, on représente la divinité comme triple, on appelle ce principe la trimurti dans le panthéon hindou : Brahma, Vishnu et Shiva, sont trois aspects du divin. Brahma désigne symboliquement le créateur, Vishnu représente le conservateur et Shiva représente le destructeur dans le cycle de l'existence. Cette triple Nature se rapprocherait de l'énoncé de l'européen médiéval : spiritus, anima, corpus.


On prendra garde à ne pas confondre Brahman, l’être suprême et la source ultime de toute énergie divine, et Brahma, le créateur du monde.


L’influence grecque dans la conception de la foi


Par souci de classification, la logique grecque établit des principes qui restent au stade de la pure représentation mentale, mais qui n’ont aucune place dans le monde réel.[10] Quand ils parlent de l’Homme, en tant qu’espèce et dans l’absolu, ils font allusion au genre humain, cet ensemble dans lequel entrent tous les membres de son espèce. C’est une conception purement abstraite. Elle reste dans le monde des idées, indépendamment de toute application concrète. Quand on prend un homme x, il n’est pas une partie de l’Homme absolu, étant donné que ce dernier n’existe pas.[11] Les philosophes les plus objectifs l’ont bien compris. Ils contestent ce que les anciens appelaient l’idéal platonicien. Sans entrer dans les détails, Platon avait imaginé un monde sans forme, purement utopique, et parallèle au nôtre.


Or, les conceptions absolues ne dépassent pas le stade de l’imagination, et celles-ci n’ont aucun lien avec la réalité.[12] Malheureusement, les mutakallimins ont repris ce principe pour l’appliquer au crédo musulman dans les domaines du tawhîd, des Attributs divins, du caractère incréé du Coran, et de… l’îmân.[13] Ils s’imaginent une foi absolue et imaginaire, et qui est une et indivisible. Ensuite, ils appliquent cette conception abstraite à un cas particulier qui est soumis aux lois de la nature et de la religion, et qui a ses propres caractéristiques. C’est ce qui les fait arriver à des conclusions aberrantes que les plus sensés d’entre eux ont cherché, souvent en vain, à pallier !


Ainsi, les jahmites se contentent de la ma’rifa sans l’iqrâr de la parole (qui est qawl e-zhâhir), qui est pourtant, la condition sine qua none pour gagner le salut et le bonheur éternel. C’est ce qui les différencie notamment avec les murjiya el fuqaha, pour qui le qawl e-lisân est indispensable.


Or, cela ne veut pas dire que pour eux, les actes ne sont pas obligatoires, comme nous l’avons démontré dans un article précédent.


Dans une analyse très pointue, ibn Taïmiya explique que les jahmites sont comparables aux philosophes grecs, bien que les jahmites soient plus proches de la vérité dans l’ensemble, car ils imposent les actes d’adoration et sont convaincus qu’ils sont utiles, contrairement aux philosophes et aux soufis ultras.


Le point commun entre les philosophes péripatéticiens et les jahmites, c’est qu’ils résument le bonheur dans la connaissance, soit mujarrad el ‘ilm wa e-tasdîq pour les seconds et la connaissance des choses telles qu’elles sont pour les premiers.[14]


À suivre…


Par : Karim Zentici
http://mizab.over-blog.com/





[1] Târîkh e-Tabarî (7/333-335).

[2] Majmû’ el fatâwâ (35/414).

[3] Fath el Bârî d’ibn Hajar (13/358).

[4] E-sunna d’Abd Allah ibn Ahmed (1/172).

[5] Majmû’ el fatâwâ (6/477).

[6] Majmû’ el fatâwâ (12/352).

[7] The philosophy of the kalam Wolfson (p. 276)

[8] Sharh usûl el i’tiqâd de Lâlakâî (3/422).

[9] Sharh usûl el i’tiqâd de Lâlakâî (3/424).

[10] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (1/286).

[11] Majmû’ el fatâwâ (5/206).

[12] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (1/301).

[13] Majmû’ el fatâwâ (7/405-407).

[14] Voir : ârâ el murjiya fî musannafât Sheïkh el Islâm qui est une thèse ès Doctorat du D. ‘Abd Allah ibn Mohammed e-Sanad.












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ÞÏíã 01 Jun 2013, 03:27 PM
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Jahm ibn Safwân

(Partie 4)

La « métaphysique » selon Jahm

À la lumière du point précédent, sur les pas de l’élite helléniste, Jahm confine la foi dans la connaissance du créateur. Dans son long cheminement vers la béatitude, à ses yeux, le croyant aurait pour mission de prouver l’existence de Dieu par la raison. Pour ce faire, il introduisit dans les rangs des musulmans, l’arme favorite des futurs mutakallimûn, qu’ils doivent à Platon, la théorie de l’accident (le dalîl el a’râdh wa hudûth el ajsâm). L’idée est de prouver que le monde a un début, et par voie de conséquence, qu’il existe une force créatrice (indépendamment de savoir si elle est passive ou non) l’ayant précédé. Jahm ibn Safwân est le premier porte-parole dans l’absolu de cette tendance ; Abû el Hudhaïl el ‘Allâf est le premier mu’tazilites à l’avoir emprunté à Jahm[1] ; ibn Kullâb l’a introduit dans le kullâbisme sous l’influence des jahmites négateurs ; les ash’arites l’ont hérité directement d’ibn Kullâb.[2]

Toutes ces tendances partent d’un seul et unique principe selon lequel tous les corps sont contingents (hudûth el ajsâm), étant donné qu’ils sont obligatoirement soumis aux accidents. Ils en concluent que tout attribut et action sont tributaires d’un corps.[3] C’est la raison pour laquelle ils refusent l’idée selon laquelle Allah aurait un corps, car cela impliquerait fatalement, selon leurs dires, qu’Il serait contingent. Il perdrait ainsi Sa particularité fondamentale d’existence prééternelle, à partir de laquelle Il tire Son Nom d’Être nécessaire (wâjib el wujûd).

À partir de ce principe, ils renient en tout ou en partie (en fonction de leur degré de négation) les Attributs et les Actions d’Allah dans le but de L’exempter du caractère contingent qui est propre aux êtres possibles (mumkin el wujûd).

En un mot, ils font passer le ta’tîl (négations des Noms et Attributs divins) sous le slogan fallacieux d’exempter le Créateur de tout défaut.[4] C'est pourquoi ils le décrivent avec des Attributs négatifs, qui correspondent à ceux qu’on ne peut, aux yeux des mutakallimîns, attribuer au Très-Haut et qui ne siéent pas à Sa Majesté. Ce procédé s’inspire de la théologie négative, qui est une approche de la théologie qui consiste à insister plus sur ce que Dieu n’est pas que sur ce que Dieu est.

C’est dans cet esprit que Jahm renie l’éternité de l’Enfer et du Paradis. Il se fie dans sa démarche sur le postulat philosophique selon lequel, un accident a forcément un début dans le passé. Sinon, cela reviendrait à un enchainement d’accidents sans fin, ce qui est logiquement impossible. Jahm va plus loin en extrapolant ce phénomène à l’avenir et infirme catégoriquement l’idée qu’un accident (l’Enfer ou le Paradis en l’occurrence) puisse demeurer à l’infini. Conclusion, le Paradis et l’Enfer vont s’éteindre un jour. Pour sa part, Abû el Hudhaïl, relativise ce propos, et se contente de dire que seuls les mouvements dans la demeure éternelle cesseront tôt ou tard.[5]

L’origine du dalîl el a’râdh wa hudûth el ajsâm

Les anciens grecs baptisaient la divinité absolu d’Intellect on d’Intellect actif (qui est exempt de matière selon la définition de Shihristânî[6]), de Substance pour certains avec les particularités qu’ils lui donnent,[7] de Principe ou de Cause première.[8]

Aristote prouve l’existence de la Cause première en se basant sur le mouvement des astres. Si l’Univers bouge, selon lui, c’est uniquement dans la mesure où il cherche à ressembler ou à prendre exemple sur la Cause première.[9] Il est même possible qu’il imagine une relation d’attirance entre eux, comme l’amant est attiré par sa bien-aimée.[10] Pour lui, Dieu n’a rien créé et n’est l’auteur d’aucune action.[11]

L’élève de Platon ne fait que reprendre à son maitre l’idée qu’il va développer à sa façon.

Aristote serait le premier à avoir soutenu la prééternité de l’univers.[12] Or, Shihristânî un hérésiographe très sérieux aux dires de l’orientalisme moderne ramène un texte du Stagirite dans lequel il affirme le contraire.[13] Plusieurs hypothèses sont avancées pour résoudre cette énigme, mais nous nous contenterons d’en avancer qu’une.

Après la chute de l'Empire romain d'Occident, un texte se diffusa dans le monde arabe, sous le nom de Théologie d'Aristote. Ce texte fut longtemps attribué, à tort, à Aristote et influença plusieurs penseurs arabes parmi lesquels Al-Kindi, Al-Fârâbî et Avicenne. Ce document ne nous est plus connu que partiellement, et dans des versions diverses, ce qui rend son étude très difficile.

En tout cas, la Théologie d'Aristote n'a rien à voir avec le penseur du même nom. Le contenu du texte semble en réalité être la préparation de la traduction arabe des Ennéades de Plotin à partir du grec. Bien que l'origine de ce texte soit difficile à établir, il pourrait toutefois remonter au VIe siècle. L'identité du véritable auteur de ce texte est encore débattue, mais Porphyre n'aurait rien à voir avec celui-ci.[14] C’est probablement ce texte qui aurait induit en erreur Shihristânî, wa Allah a’lam !

Le D. Davidson émet pour sa part l’hypothèse que finalement le « Philosophe » avait tout simplement deux opinions sur la chose ; sa pensée ayant évolué.[15]

Quoi qu’il en soit, là où Aristote ou les néoplatoniciens parlaient de matière et de forme, les mutakallimîns eux, parlent d’accident et de nomade (nous avons parlé de ce point en détail dans l’article : Ibn Taïmiya et le tarkîb I). Nous ne voulons pas entrer ici sur la controverse entre les philosophes et les mutakallimîns sur la prééternité de l’Univers ; ce qui nous intéresse, c’est de mettre l’accent sur la similitude du raisonnement, quand bien même ils arriveraient à des conclusions différentes, ce qui est facilement explicable.

Jean Damascène, le dernier ou l’un des derniers Pères de l’Église, avait également cette approche.[16] Aux dires du spécialiste du Kalâm Harry A. Wolfson, il aurait servi de relais aux mutakallimîn qui l’ont, par la suite, reprise à leur compte.[17] C’est ce qui nous amène au point suivant :

L’influence judéo-chrétienne

Nous avons parlé plus haut de l’influence orientale (hindouiste) sur la pensée de Jahm. Nous avons également subrepticement dessiné le portrait de la philosophie sabéenne, son autre influence. En réalité, très peu d’informations nous sont parvenues sur celle-ci. Nous savons juste que ses tenants ont falsifié la prophétie de façon plus accentuée que chez les Juifs et les chrétiens.[18] Néanmoins, en nous penchant vers le patrimoine grec, qui, lui, est largement disponible, nous nous rendrons compte de la similitude grossière avec la pensée de Jahm, et par voie de conséquence, avec la pensée sabéenne.

Thales, l’un des « sept sages », philosophait déjà à son époque sur le Théo.[19] La pensée helléniste imaginait une force immatérielle, la cause première, à l’origine de la création. Pour la décrire, Platon préconise de l’aborder sous l’angle de la négation, pour éviter toute comparaison avec le monde sensible (voir : théologie négative). Simple, immuable, et indivisible, l’Un n’aurait aucune caractéristique qui trahirait la multitude et la composition. Aristote, qui reprendra le flambeau, appuie l’idée que le premier intellect est dépourvu de toute entité réelle. « Immobile », « infini », et « un » sont les trois seuls attributs qu’il est possible de lui accorder.[20]

Le disciple reste dans l’optique du maitre en variant les termes ; immobile n’est rien d’autre qu’immuable, dans le sens où l’Un serait dépourvu de tout attribut volontaire, et donc de tout mouvement. Il prend toutefois ses distances avec son prédécesseur quand il établit la prééternité du monde, dont l’existence serait concomitante à celle du premier intellect, l’« infini». Et « un », enfin, renvoie au « simple » platonicien. Copleston, un philosophe contemporain, résume très bien l’idée. Il explique en un mot que Dieu, qui appartient au monde des idées, n’a aucune caractéristique matérielle, propre aux corps. Il n’a aucun agissement dans l’ordre du monde (il n’a aucune volonté ni ambition) et n’a pas pour vocation d’être aimé ni adorer.[21] (Pour plus de détails voir en annexe : Plotin et Thomas d’Acquin).

Cette conception métaphysique du divin est très tangible chez les mu’tazilites, les successeurs directs de Jahm.[22]

À suivre…




[1] Majmû’ el fatâwâ (13/305) et minhâj e-sunna (8/5).

[2] Naqdh ta-sîs el jahmiya d’ibn Taïmiya (1/46, 54).

[3] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (1/305).

[4] El jawâb el fâsil bi tamyîz el haqq mi el bâtil d’ibn Taïmiya qui fut imprimé dans la revue majallat el buhûth el islâmiya (n° 29 p. 309-310).

[5] minhâj e-sunna (1/310).

[6] El milal wa e-nihal (p. 379).

[7] Mi’yâr el ‘ilm fî fann el mantiq d’el Ghazâlî (p. 280-281).

[8] Idem. (p. 312-313) ; pour plus de détails sur le concept de Cause voir : E-ta’rifât d’el Jurjânî (p. 155-156).

[9] Minhâj e-sunna d’ibn Taïmiya (2/132).

[10] Idem.

[11] Majmû’ el fatâwâ d’ibn Taïmiya (1/49).

[12] Voir Mawqif Sheïkh el Islam ibn Taïmiya min el falâsifa par le D. Sâlih el Ghâmidî (250-251).

[13] El milal wa e-nihal (p. 1/465).

[14] Cette Théologie d'Aristote a été publiée, en anglais, dans le deuxième volume des Plotini Opera.

[15] Proofs for Eternity, Creation and the Existence of God (p. 142).

[16] The Orthodox Faith (1/3).

[17] The philosophy of the kalam Wolfson (p. 408)

[18] E-tis’îniya d’ibn Taïmiya (1/259).

[19] El milal wa e-nihal de Shihristânî (2/370).

[20] Motion of Motion’s God de Bukly (p. 68).

[21] History of Philosophy (1/214).

[22] The philosophy of the kalam Wolfson (p. 223, 224, 226)


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ÞÏíã 02 Jun 2013, 05:18 PM
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Jahm ibn Safwân

(Partie 5)

L’école d’Alexandrie

Grossièrement, cet héritage passera à l’école d’Alexandrie, et touchera, notamment, au début de l’Ère chrétienne, la communauté judaïque, par l’intermédiaire de son plus grand représentant, Philon. Passionné de philosophie grecque, il passera sa vie à conjuguer entre la Bible et la pensée helléniste, avec, Platon, au premier plan. Juif hellénisé, il est le premier à introduire une lecture parabolique de l’Ancien Testament. Il pensait que la Raison (comprendre la philosophie grecque) n’allait nullement à l’encontre de la religion de Moïse. Sa pensée fut révolutionnaire à plus d’un titre ; c’était la première fois notamment qu’un Israélite condescendait à sortir des enseignements de la Thora, qui incarnaient pourtant la fierté de la communauté, face aux gentils incultes, idolâtres et souvent persécuteurs.

L’autre révolution dans l’œuvre de Philon fut qu’il abandonna l’hébreu, qu’il ne maitrisait peut-être pas selon certaines sources, et coucha ses traités dans la langue de Socrate. Ses lectures paraboliques du Livre sacré renfermaient des messages ésotériques destinés aux seuls initiés. Au début, il laissait indifférents ses coreligionnaires, et mourut sans connaitre la gloire parmi les siens ; nul n’est prophète en son pays. Néanmoins, par la suite, il devint un grand centre d’attraction pour les premiers Pères de l’Église. Longtemps après, les rabbins et les docteurs de la Loi le reconnurent et lui rendirent un hommage post posthume.

Wolfson, le spécialiste du Kalâm, fut frappé par la ressemblance entre la pensée de Jahm et celle de Philon. Il en conclut, que, en utilisant les mêmes méthodes que son prédécesseur, Jahm, fut le premier à conjuguer entre la Raison grecque et la religion musulmane.[1] Entre temps, les Pères de l’Église avaient procédé au même pillage des écrits grecs qui déboucha sur la profanation en profondeur de la religion chrétienne. Profanation dont elle ne se remettra jamais. Ainsi, l’hellénisation des trois religions était en cours, et fut à son comble chez les Juifs avec Maïmonide, dans la lignée des mu’tazilites, qui soumit la Thora à la règle suivante : tout texte qui laisse à penser que Dieu a des membres ou n’importe quel attribut doit se lire nécessairement selon une lecture imagée pour échapper à tout anthropomorphisme.[2] (Voir annexe)

Inspirés par Philon, les premiers Pères de l’Eglise ont parlé du Dieu invisible comme d’un Etre incréé, anonyme, éternel, incompréhensible et immuable. Ils n’ont guère été au-delà de l’ancienne idée grecque selon laquelle l’Etre Divin existe de manière absolue et sans attributs. Et, comme le dit Seeberg: « Ils n’ont pas été au-delà du concept purement abstrait, selon lequel l’Etre Divin consiste en une existence absolue sans attributs. »

La mutation des Pères de l’Église passa par un « algérien », Augustin. Ce dernier y laissa une empreinte indélébile, jusqu’à ce que le flambeau soit repris par Thomas d’Acquin, qui, pendant tout le Moyen-âge, rendit à l’hellénisme ses lettres de noblesse en Occident. Il profita de la révolution intellectuelle du monde musulman qui bouleversa en profondeur la théologie universelle, et qui infiltra l’Europe grossièrement par deux grands fronts : l’averroïsme pour la partie occidentale en pleine gestation et l’avicennisme pour sa partie orientale en pleine déflagration.

La réconciliation entre Aristote, « le divin docteur » et la foi chrétienne passe en particulier par la tentative de résoudre les tensions entre philosophie première (selon Aristote) et théologie, autrement dit entre une métaphysique générale (philosophie première appelée plus tard ontologie, ou ontosophie) et une science de l'être par excellence (plus tard, metaphysica specialis, la théologie).

Les mots de la Confessio Belgica sont bien caractéristiques : « Nous croyons tous du cœur, et confessons de la bouche, qu’il existe un seul Etre, simple et spirituel, que nous appelons Dieu. » Confessio Belgica, art. 1.

Plus tard, philosophes et théologiens ont identifié l’essence de Dieu à l’être abstrait, la substance universelle, la pure pensée, la causalité absolue, l’amour, la personnalité et à sa sainteté majestueuse ou divine… Dieu ne possède pas de corps et donc pas d’extension spatiale…

Jean le Damascène

C’est dans ce climat, en faisant un petit flash-back, que Jean Damascène entre en scène. El ja’d aurait pris résidence à Damas près d’une Église. Certaines sources mentionnent cette proximité qui est un indice non négligeable sur la probable influence de Jean sur ce dernier.[3] Jean aurait eu plusieurs contacts avec le fameux poète chrétien, el Akhtal qui serait devenu son ami.[4] Selon certains islamologues, il aurait transmis l’héritage grec dans les rangs des musulmans.[5] Contemporain à Wâsil ibn ‘Atâ et ‘Amr ibn ‘Ubaïd, il écrivit un dialogue imaginaire entre un chrétien et un musulman en vue de réfuter l’hérésie du libre arbitre selon sa conception ; en définitive, il reprenait point par point le crédo mu’tazilite (dans le rôle du chrétien) en plein conflit avec l’orthodoxie ambiante incarnée par le traditionalisme (dans le rôle du musulman), et qu’il confond, comme beaucoup d’autres, avec le déterminisme.[6]

Il épousa les idées de Philon qu’il distilla dans la culture arabe. Cosmas, son tuteur italien, l’initia à la logique formelle qu’il maitrisait sur les doigts. Jean était une vraie encyclopédie. Il avait notamment étudié les textes scripturaires de l’Islam (Coran et hadîth) pour les réfuter selon son point de vue.

Il immortalisa son crédo par écrit, dans la lignée des néo-platoniciens, mais ce qui nous interpelle, c’est que dans un passage, il reprit le même argument que Jahm face aux chamanistes. Il dit, entre autres, je cite, que : « Dieu, il est partout, soit indistinctement dans tous les endroits. »[7] Ailleurs, tout comme Jahm, il affirme en substance qu’on ne le voit pas et qu’on ne peut le voir.[8]

Ainsi, nous pouvons, sans peur, retracer la chaine pédagogique d’ibn Safwân soit :

Jahm ibn Safwân, selon el Ja’d ibn Ibn Dirham, selon Jean Damascène, selon Cosmas qui l’emprunte à la philosophie grecque.

Cette chaine narrative ne s’oppose nullement à celle, plus connue, qui passe par Abân ibn Sam’ân, selon Tâlût, selon Labîd ibn el A’sam.[9] La raison est qu’un seul individu peut avoir plusieurs sources à la fois.

Notons, enfin, qu’à la base, comme le souligne ibn Taïmiya, les « gens du Livre, et plus particulièrement les Juifs, penchaient vers l’anthropomorphisme ; en tout cas, ils avaient une lecture littérale des textes. De fil en aiguille, ils en vinrent à renier les Attributs divins, à la manière des jahmites ; deux tendances se dégagèrent chez les adeptes de la Thora : celles des philosophes à l’image de Mûsâ ibn Maïmûn, et celle des mu’tazilites, comme Abû Ya’qûb el Basîr (Joseph ben Abraham al-Basir, auteur du Sefer HaNe'imot et du Mahkimat Peti).[10]


Le judaïsme s’est montré beaucoup plus perméable aux notions doctrinales islamiques, y compris la doctrine de l’unicité divine. C’est surtout le mu‘tazilisme qui fut adopté à des degrés divers à partir du 9e siècle, aussi bien par les penseurs rabbanites que karaïtes, et finalement apparut au tournant du 11e siècle le célèbre mouvement du « mu‘tazilisme juif ». Les savants juifs composèrent d’une part des œuvres originales selon la pensée mu‘tazilite et copièrent d’autre part les ouvrages en arabe appartenant à celle-ci, souvent en caractères hébraïques. Les premiers exemples des ouvrages originaux des mu‘tazilites juifs sont : le Kitāb al-Muḥtawī du karaïte Yūsuf al-Basīr (m. ca. 1040).[11]

Voici un passage du site protestant de la Revue réformée :

En parlant de la nature spirituelle de Dieu, la théologie veut souligner que Dieu est en lui-même un être substantiel, distinct du monde, immatériel, invisible, sans éléments constitutifs ni extension. Ainsi, toutes les qualités essentielles liées au concept parfait d’Esprit se trouvent en lui ; en d’autres termes, il est un être conscient qui s’autodétermine. Etant Esprit au sens le plus pur et le plus absolu du mot, il n’est pas composite. L’affirmation que Dieu est Esprit exclut toute idée de corporéité de Dieu et condamne donc les fantaisies de certains des premiers gnostiques, des mystiques du Moyen Age et de toutes les sectes modernes qui attribuent un corps à Dieu. Il est bien vrai que la Bible parle des mains et des pieds, des yeux et des oreilles, de la bouche et du nez de Dieu. Ce faisant, elle s’exprime de manière anthropomorphique ou figurative qui transcende de très loin notre connaissance humaine; nous n’en pouvons parler qu’en balbutiant à la manière des hommes.

Annexe

Les annexes empruntées à wiki ont pour but de montrer l’évolution, ne serait-ce que grossièrement, de la logique formelle, l’un des outils utilisés en métaphysique par Platon et Aristote. S’ils n’en sont pas les initiateurs, ils en sont les plus grands vecteurs, et parvinrent à corrompre jusqu’aujourd’hui la plupart des adeptes des trois grandes religions. Seul le traditionalisme musulman est resté intact grâce à Dieu ; ce qui nous permet de dire, en définitive, que ces deux hommes comptent parmi les plus grands tâghût et ennemis de la prophétie que l’Humanité n’ait jamais connu. Paradoxalement, ils incarnent en même temps les plus grandes références que les adeptes des prophètes eux-mêmes ont reprises à leur compte.

Remarque

D'après Bacon, nos théories scientifiques sont construites en fonction de la façon dont nous voyons les objets ; l'être humain est donc biaisé dans sa déclaration d'hypothèses. Pour Bacon, « la science véritable est la science des causes ». S’opposant à la logique aristotélicienne qui établit un lien entre les principes généraux et les faits particuliers, il abandonne la pensée déductive, qui procède à partir des principes admis par l’autorité des Anciens, au profit de l’« interprétation de la nature », où l’expérience enrichit réellement le savoir. En somme, Bacon préconise un raisonnement et une méthode fondés sur le raisonnement expérimental :

L'empirisme, par exemple celui de Hume ou de John Stuart Mill, développa ainsi une logique inductive, qui consiste en la généralisation vers une loi naturelle à partir de données particulières de l'expérience.

– John Stuart Mill, Système de logique déductive et inductive, 1843.

Dans son article paru en anglais, Les musulmans et les grandes écoles philosophiques (en 1927), Sulaïmân e-Nadawî avance que les travaux des deux philosophes anglais John Mill et David Hum aboutissent aux mêmes conclusions que Sheïkh el Islam ibn Taïmiya dans sa réfutation de la logique aristotélicienne ; il ouvre ainsi la porte à un superbe sujet de recherche.

À suivre…




[1] The philosophy of the kalam Wolfson (p. 222)

[2] Jinâya e-ta-wîl el fâsid de Mohammed Lûh (p. 165).

[3] El bidâyâ wa e-nihâyâ d’ibn Kathîr (9/405).

[4] John of Damascus on Islam de Sahas (pps 21-48).

[5] John of Damascus on Islam de Sahas (pps 143-149).

[6] John of Damascus on Islam de Sahas (p. 88).

[7] The Orthodox Faith (1/198).

[8] The Orthodox Faith (1/200).

[9] El hamawiya d’ibn Taïmiya (p. 243).

[10] Voir : dar-u e-ta’ârudh d’ibn Taïmiya (7/94).

[11] Mohammad Ali Amir-Moezzi et Sabine Schmidtke, « Rationalisme et théologie dans le monde musulman médiéval », Revue de l’histoire des religions, 4 | 2009, 613-638.


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ÞÏíã 03 Jun 2013, 05:24 PM
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Jahm ibn Safwân

(Partie 6)

Platon

Platon marqua de façon durable la philosophie de l’Antiquité, par l’influence qu’il exerça, sur Plotin notamment, ou parce qu’on le considérait comme le philosophe par rapport auquel on devait se situer. Il fut aussi une source d’inspiration ainsi que la cible de bien des critiques. Aristote, Épicure ou les Stoïciens, par exemple, développèrent une critique plus ou moins systématique de l’éthique, de la théorie de la connaissance, ou de la philosophie politique de Platon. Quant à Plotin ou aux Pères de l’Église, ils n’ont pas manqué de voir en Platon un philosophe, quasi divin (Plotin), ou, en tout cas, une source d’inspiration importante.

La signification des œuvres de Platon a fait l'objet de nombreuses controverses depuis l'Antiquité. Certains ont fait de Platon un dogmatique ; d'autres un sceptique. Platon fut tantôt récupéré par des courants mystiques : élévation de l'âme vers le bien, au-delà de l'être, tantôt par des philosophies purement rationalistes.

Aristote

Sa conception de l'être comme « substance » (ou ontologie) et de la métaphysique comme « science de l'être en tant qu'être » influença l'ensemble de la tradition philosophique occidentale, d'Alexandre d'Aphrodise à Martin Heidegger en passant par Thomas d'Aquin, et orientale, d'Averroès et Maïmonide à Cordoue jusqu'au persan Avicenne en passant par les théologiens médiévaux de Byzance.

Au Proche-Orient, Byzance est en concurrence avec le monde musulman qui s'étend à l'Égypte et à la Syrie, anciens foyers culturels grecs de première importance. Les ouvrages classiques grecs sont très tôt traduits en arabe qui devient une langue de diffusion de ce savoir. Par l'Andalousie musulmane, en particulier, le mode de diffusion est plus rapide et concurrence celui de Byzance. La vie intellectuelle en Islam, aux mêmes époques, est imprégnée d'hellénisme. On peut citer parmi d'autres Al Kindi et, surtout, au xiie siècle, Averroès (Ibn Rush) ainsi que le philosophe, théologien et médecin juif Maïmonide.

Cette transmission de l'héritage grec et donc aristotélicien non seulement par l'idiome grec ou latin mais aussi parfois par la langue arabe, au début du bas Moyen Âge, est aujourd'hui de nature polémique. La reconnaissance d'un rôle plus ou moins important de la culture arabo-musulmane dans le dialogue des civilisations porte en soi une charge politique et émotionnelle importante des deux côtés de la Méditerranée. Ainsi, les vifs débats autour des projets de constitution pour l’Europe qui ont porté sur des mentions explicites à ce que doit la culture européenne à la pensée chrétienne, ont mené certains polémistes à prendre à partie les recherches historiques effectuées sur les transmissions de la pensée aristotélicienne (notamment les phases de traductions vers le latin), dans le but d’y minimiser le rôle des héritiers arabo-musulmans de la pensée aristotélicienne.

Le mot métaphysique n’est pas connu d’Aristote, qui emploie l'expression philosophie première. Notes de cours peut-être hétérogènes et sans dénomination commune, les papiers classés après la Physique dans la bibliothèque d'Alexandrie prirent ainsi accidentellement le nom de "méta-physique". Néanmoins, il est possible de considérer que cet ensemble de réflexions constitue une certaine unité. La philosophie première ou métaphysique, c’est donc pour Aristote la science la plus générale, par opposition aux sciences particulières. Selon Aristote, la philosophie première est donc la science de l’être en tant qu’il est et non d'une de ses parties, ou encore la science des principes et causes de l’être en tant qu'il est et de ses attributs essentiels.

La question fondamentale de la métaphysique est donc la substance. Selon lui, en effet, toute métaphysique se réduit à la question suivante : qu’est-ce que la substance ? Le livre Z de la Métaphysique cherche à répondre à cette question.

Dans la Métaphysique, il décrit Dieu comme le premier moteur immuable, incorruptible, et le définit comme la pensée de la pensée, c'est-à-dire comme un Être qui pense sa propre pensée, l'intelligence et l'acte d'intelliger étant une seule et même chose en Dieu : "L'Intelligence suprême se pense donc elle-même... et sa Pensée est pensée de pensée." Il est en ce sens une forme ou un acte sans matière qui provoque en premier l'ensemble des mouvements et par suite l'actualisation de l'ensemble de ce qui est.

Aristote fut commenté par la tradition néoplatonicienne et intégré à cette philosophie, qui tenta une synthèse entre Platon, Aristote et l'orientalisme, par exemple Plotin, Porphyre et Simplicius.

Au Moyen Âge, sa philosophie spéculative fut redécouverte, dans un contexte de rivalités d’écoles, grâce aux philosophes judéo-musulmans, en particulier à Maïmonide et Averroès. Au xiie siècle se déroula un mouvement général de traduction d’œuvres de philosophes et scientifiques grecs et arabes par des érudits des trois grandes religions monothéistes (christianisme, judaïsme, islam).

Ces traductions eurent lieu entre 1120 et 1190, à Tolède puis dans quatre villes d’Italie (Palerme, Rome, Venise, Pise). Cette période correspond à la Renaissance du XIIe siècle. Les œuvres d’Aristote furent traduites mot à mot en latin par Albert le Grand et Guillaume de Moerbeke, proche de Thomas d’Aquin.

La renaissance

Au xiiie siècle, la philosophie aristotélicienne, transformée par Thomas d’Aquin en doctrine officielle de l’Église catholique, malgré quelques soubresauts tels la Condamnation de 1277 d'un ensemble de propositions aristotéliciennes par l'évêque de Paris Étienne Tempier, devint alors la référence philosophique et scientifique de toute réflexion sérieuse, donnant ainsi naissance à la scolastique et au thomisme. On considère que Thomas d’Aquin a effectué une réconciliation entre les œuvres d’Aristote et le christianisme. Il a notamment commenté la Métaphysique, le livre De l'âme, les Politiques, la Logique et l'Éthique à Nicomaque. Aristote est l'auteur le plus cité dans la Somme théologique et il y a eu de nombreux conflits d'interprétation entre Thomas d'Aquin et les philosophes musulmans comme Averroès. Le succès de cette entreprise fut si grand que dans les universités chrétiennes, on nommait Aristote simplement « le Philosophe ».

Le déclin qui correspond au siècle des Lumières et à la révolution industrielle

Des controverses internes à la scolastique avaient commencé à entraîner son déclin au xvie siècle : en France, le premier à remettre en cause la doctrine physique d’Aristote fut Pierre de la Ramée (1515-1572) qui déclara dans sa thèse : « quaecumque ab Aristotele dicta essent commentitia esse », « tout ce qu’a dit Aristote n’est que fausseté ».

Francis Bacon, l'un des pères de la science et de la philosophie modernes, contestera l'autorité d'Aristote dans Du progrès et de la promotion des savoirs (1605) : « Le savoir dérivé d'Aristote, s'il est soustrait au libre examen, ne montera pas plus haut que le savoir qu'Aristote avait. »

La Réforme protestante est une vaste réaction contre l'intellectualité scolastique, et Lutherne perdra pas une occasion dans sa correspondance d'exprimer sa haine contre la pensée d'Aristote (sous sa forme thomiste, qui servit idéologiquement à justifier le papisme). De même, Nicolas de Cues s'oppose vivement à l'aristotélisme et au thomisme, notamment dans la Docte ignorance, leur préférant le socratisme platonicien et la mystique de Maître Eckhart. De manière générale, un grand mouvement pluriel de réaction à la doxa aristotélicienne (l'aristotélisme scolastique) naît à la Renaissance, qui aboutira à la science et à la philosophie modernes.

Il faudra attendre Galilée puis Torricelli et Blaise Pascal[1] pour que, sur des bases expérimentales, quelques-uns de ses enseignements en matière de sciences physiques soient contestés : suicide du scorpion entouré de flammes, vitesse de chute des corps proportionnelle à leur poids, horreur de la nature pour le vide, etc. Les critiques de l’époque moderne ne sont pas surprenantes étant donné qu’Aristote vécut au ive siècle av. J.-C., et qu’il ne disposait pas des moyens d’observation et d’expérimentation scientifiques apparus à partir du xviie siècle.

À partir du début du xviie siècle, la controverse sur les représentations du monde (géocentrisme contre héliocentrisme) entraîna la remise en cause de l’œuvre d’Aristote.

En effet, dans ce que l’on appela ultérieurement la Métaphysique, Aristote représentait le monde en deux parties (sublunaire et supralunaire). Les astres étaient supposés être des sphères parfaites, entrainées par le mouvement de sphères homocentriques tournant autour de la Terre, centre de l’Univers. La thèse géocentrique, maintenue dans le modèle astronomique développé par Hipparque et Ptolémée fut généralement admise pendant presque un millénaire et demi. Le géocentrisme, déjà remise en cause par Copernic (1543), fut fortement attaqué, à partir du début du xviie siècle, par des personnages comme Giordano Bruno, et surtout Galilée.

Galilée avait mis en scène dans le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo de1632) trois personnages, dont l’un (Simplicio) était favorable aux théories d’Aristote. Galilée fut condamné en juin 1633, et sa peine commuée par Urbain VIII en assignation à résidence.

Descartes apprit l’issue du procès de Galiléeen novembre 1633, et lorsqu’il reçut une copie de l’ouvrage de Galilée, il renonça à publier son propre ouvrage (le Traité du monde et de la lumière). C’est ainsi que Descartes décida de se lancer dans une carrière philosophique, et écrivit successivement le célèbre Discours de la méthode (1637), les Méditations métaphysiques (1641), et les Principes de la philosophie (1644). Descartes, influencé par les idées de son siècle, critiqua vivement les positions des aristotéliciens" et précipita la fin de la scolastique, parachevée par l'empirisme et Kant.

On reprochait à l’œuvre d’Aristote quelques invraisemblances dans sa physique, par rapport aux découvertes de la science moderne au xviie siècle, comme par exemple :

Monde sub-lunaire/ supralunaire (Sphères parfaites, en contradiction avec les montagnes sur la lune, les taches solaires, les satellites de Jupiter observés par Galilée),
Mouvement, associé à la force, et non à l’accélération (en fait la force correspond à la cause efficiente),
Mouvement des projectiles dû à la poussée de l'air,
Impossibilité du vide.

Époque contemporaine

La philosophie cartésienne et ses suites au XVIIIe eurent donc pour effet de faire oublier la métaphysique d’Aristote, et par voie de conséquence, toute sa philosophie et la métaphysique scolastique. Dans la plupart des ouvrages d’histoire des sciences et de philosophie, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’œuvre d’Aristote a systématiquement été décriée, en raison de la représentation géo-centrée, en même temps que l’on critiqua les erreurs de l’Église catholique dans le procès de Galilée.

Néanmoins, le xixe siècle vit un retour à la métaphysique aristotélicienne, sous la plume de Ravaisson, Trendelenburg et Brentano, précédés d'ailleurs par la dernière philosophie de Schelling. Le mouvement initié par Brentano aboutit à la révolution philosophique de Heidegger, qui répète la question de l'être, occultée par les modernes, à partir de son commencement aristotélicien.

L'influence d'Aristote demeure dans la philosophie contemporaine avec les nombreuses références à son œuvre dans la pensée d'Hannah Arendt et des philosophes politiques communautaristes. La philosophe américaine Ayn Rand s'en revendique également considérablement.

La grande influence de l'œuvre d'Aristote s’explique sans doute en partie par son caractère encyclopédique, qui tente de totaliser le savoir. Platon l’appelait d’ailleurs « le lecteur ». Pourtant, si l’on a pu considérer Aristote comme la synthèse incarnée de toute la culture philosophique et scientifique grecque, il n’est pas concevable de considérer, aujourd’hui comme hier, que sa philosophie donne une réponse simple et définitive à toute question : au contraire, la lecture attentive de ses œuvres montre qu’Aristote avait conscience de ce qu’il peut y avoir d’interminable dans la recherche de la vérité, et que certaines questions d’ordre métaphysique restent ouvertes. C’est la postérité d’Aristote qui en donnera une image de dogmatique ayant réponse à tout, et c’est cette image qui sera combattue par Francis Bacon dans son Nouvel Organon. Ainsi, l'Aristote du xixe siècle sera plus célébré pour ses intuitions métaphysiques et les questions qu'il laisse ouvertes, que pour ses vues scientifiques et encyclopédiques.

Historiquement, Aristote apparaît comme le premier auteur effectuant des classifications hiérarchiques du savoir de façon systématique. Ce mode de classement, qui pourrait être de son invention (il était en tout cas inconnu des bibliothécaires de Sumer), a survécu jusqu’à nos jours. Il est employé par exemple dans les cartes heuristiques depuis les années 1970, dans un esprit holistique. Nous ne commençons à nous en détacher qu’avec les bases de données relationnelles.

En septembre 1998, une encyclique du pape Jean-Paul II (Fides et ratio) souligne l’importance de la philosophie d’Aristote dans la transmission du savoir.

À suivre…




[1] Blaise compte-t-il parmi les philosophes occidentaux qui reçurent l’influence du kalâm islamique ? C’est en tout cas vers ce sens que penche une lecture anglo-saxonne, qui a une longueur d’avance sur les français dans ce domaine. Voir : Karen Armstrong A History of God Ballantine Books New York,1993 pp.460.


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ÞÏíã 04 Jun 2013, 04:26 PM
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Jahm ibn Safwân

(Partie 7)

L'école théologique d'Alexandrie

L'école théologique d'Alexandrie, dite aussi le Didascalée, fut une des grandes écoles théologiques des premiers siècles du christianisme. Sa méthode théologique était symbolico-allégorique. L'influence de Platon et du néoplatonisme y est manifeste. Elle s'opposa à l'école théologique d'Antioche qui prônait une méthode historico-littérale. Elle eut des filiales en Palestine et en Pamphylie.

Origène, l'un des premiers Pères de l'Église, est à l'origine de la Lectio divina, fondée sur l'interprétation selon les quatre sens des Écritures.

Les quatre sens sont les suivants :

historique,
allégorique,
tropologique,
et anagogique.

La Lectio divina est pratiquée dans les monastères. Le pape Benoît XVI a relancé la Lectio divina lors de sa catéchèse du 2 mai 2007.

Philon

Il symbolise le judaïsme d’Alexandrie, étape vers le christianisme, dans la mesure où celui-ci est à la fois issu du judaïsme et de l'hellénisme. Pour les chrétiens, Philon est juif et rabbin. Mais pour les juifs orthodoxes qui représentent une minorité, lui et sa communauté d'Alexandrie sont les prototypes des « juifs assimilés ». Il est convaincu que le monothéisme de Moïse est universel et veut en convaincre ses lecteurs grecs. Confronter Philon et Aristote n’est pas un exercice aisé et peut conduire à commettre anachronismes ou erreurs d’interprétation.

Les traités de Philon écrits il y a plus de deux mille ans, s’inscrivent dans la filiation de la morale platonicienne, il puise également ses sources dans l’approche éthique d’Aristote, exposée notamment dans l’Éthique à Nicomaque, et surtout celle des stoïciens. Philon apporte un enseignement moral qui trouve son inspiration dans la méthode allégorique, en expliquant la Torah comme les Grecs, et notamment les stoïciens, expliquaient les récits homériques. Philon a été inspiré par certains principes aristotéliciens, la tradition des stoïciens et une tradition gréco-égyptienne propre à Alexandrie.

Connaissant parfaitement les systèmes philosophiques grecs, Philon est à ce point influencé par Platon qu'il en épouse même le style, avec toutefois les hellénismes des Juifs d'Alexandrie. On cite souvent ce jeu de mots d'un contemporain : « Philon platonise, Platon philonise ». Ses textes sont intéressants pour l'étude de la philosophie néo-platonicienne, mais surtout pour sa lecture de la Bible, qu'il lisait dans la traduction des Septante. Il fait notamment des personnages bibliques des allégories. Il est bien possible qu'il ignorât l'hébreu, mais la question est controversée.

Son système philosophique se résume en trois thèses bibliques, dont :

La transcendance de Dieu, et l’inconnaissabilité de Dieu. L’homme ne peut saisir l’essence de Dieu ni par le sens ni par l’intelligence. Philon pose ici une limite nette au pouvoir de la philosophie et de la théologie. Philon a créé la théologie négative : dans le De somniis I.67, il décrit Dieu comme indicible (arrêtos) et comme incompréhensible (akatalêptos). On retrouvera cette thèse de l’inconnaissabilité de Dieu chez les Cappadociens (Basile de Césarée, Jean Chrysostome).

Selon Claude Tresmontant, Philon d'Alexandrie aurait influencé les premières communautés chrétiennes. Selon Ceslas Spicq, l'auteur de l'épître aux Hébreux, selon lui Apollos originaire d'Alexandrie, serait un disciple de Philon converti au christianisme.

La théologie négative

La théologie négative est une approche de la théologie qui consiste à insister plus sur ce que Dieu n’est pas que sur ce que Dieu est. Cette théologie peut sembler paradoxale puisque Dieu dit de lui-même : « Je suis celui qui est ».

La théologie négative peut être développée de deux façons :

par négation (démarche apophatique, du grec apophasis: négation)
ou par abstraction (méthode aphairétique, du grec, aphairesis : abstraction).

L'apophatisme, ou méthode aphairétique, est une démarche intellectuelle par laquelle toute idée que l'on se fait de la divinité se voit démasquée dans son inadéquation à délimiter ce qui est sans limite.

Par exemple, l’affirmation : « Dieu existe », ne peut se concevoir en théologie négative. Pas plus que : « Dieu est miséricordieux ». L’expression de la transcendance s’exprime uniquement par des propositions négatives et par un recours à l’abstraction, et ultimement par le silence, car même une proposition d'apparence négative est une affirmation concernant l'indicible sur lequel rien ne peut être affirmé. Dire que « Dieu n'est pas miséricordieux » est, in fine, une affirmation toute aussi positive que d'affirmer que « Dieu est miséricordieux », puisque Dieu n'est ni miséricordieux, ni ne l'est pas. La démarche apophatique vise l'expérience directe de l'absolu par l'abolition de toute adhérence intellectuelle aux concepts. Autrement dit, cette démarche vise sa propre négation, sa propre fin dans l'éveil spirituel.

Ce mode de pensée puise son origine dans la philosophie antique. On le retrouve dans la pensée théologique chrétienne ainsi que dans certains courants philosophiques modernes qui se sont intéressés aux formes du langage. La théologie négative chrétienne apparait clairement pour la première fois chez Pseudo-Denys l'Aréopagite qui fait des emprunts à Damascius, philosophe néoplatonicien antichrétien. On retrouve ces mêmes influences dans le soufisme. L'Extrême-Orient a développé à sa façon, et ce bien avant l'occident, une théologie apophatique qui s'exprime dans le bouddhisme, le taôisme, l'hindouisme et bien d'autres traditions.

Le concept d’abstraction est présent dans l’Antiquité, à la fois dans la tradition péripatéticienne et dans celle de l’Académie. Il s’agit d’une opération intellectuelle intuitive qui prétend séparer dans les formes l’essentiel du non-essentiel. Cette forme de soustraction, les Anciens l’appliquent d’abord à la mathématique pour définir la surface par retranchement du volume, la ligne par retranchement de la superficie et ainsi de proche en proche jusqu'à l’unité primordiale. En étendant ce concept à la logique, le prédicat attribut du sujet et le sujet lui-même se présentent comme une somme : la négation du prédicat est assimilée au retranchement et l’opération intellectuelle abstraite de séparation apparaît comme une opération négative.

Une telle démarche ressortit foncièrement de l’idéalisme dans la mesure où la connaissance remonte, par soustraction et négation, de la réalité tangible à la réalité invisible, de l’immanent au transcendant. Elle présente à la fois un côté négatif, l’opération de retranchement, et un côté positif, la perception intuitive des réalités supérieures. L’abstraction se présente comme une démarche ontologique qui permet d’atteindre les formes supérieures de la connaissance.

Plotin

Plotin (205 - 270 après J.-C.) était un philosophe grec de l'Antiquité tardive. Il fut le fondateur d'un courant philosophique appelé « néoplatonisme », qui influença de manière profonde la philosophie occidentale. Il installa son école à Rome en 246, et son premier disciple fut Amélius. Sa relecture des dialogues de Platon fut une source d'inspiration importante pour la pensée chrétienne, en pleine formation à l'époque, puis pour saint Augustin. L'intégralité de ses écrits a été publiée, par un autre disciple fidèle, Porphyre de Tyr, dans les Ennéades.

La pensée de Plotin est originale en ce qu'elle approfondit la réflexion de Platon et d'Aristote sur la nature de l'Intelligence, mais aussi et surtout en ce qu'elle pose un au-delà de l'intelligence, à savoir l'Un. Pour Plotin, l'univers est composé de trois réalités fondamentales : l'Un, l'Intelligence et l'Âme. L'homme qui fait partie du monde sensible doit, par l'introspection, remonter de l'Âme à l'Intelligence, puis de l'Intelligence à l'Un et accomplir ainsi une union mystique avec le dieu par excellence.

Plotin connaissait bien ses prédécesseurs philosophes. Dans ses traités se trouvent de nombreuses allusions (explicites ou non) à Aristote, aux péripatéticiens, au stoïcisme, à l'épicurisme ou encore aux gnostiques auxquels il s'opposait. Mais Platon est de loin celui qui retint le plus l'attention de Plotin. Si la philosophie de Plotin fut appelée le néoplatonisme, c'est bien parce que celui-ci avait pour référence majeure l'œuvre de Platon.

Les thèses de Plotin puisent en effet leurs sources dans les textes de Platon. Plotin retourne chercher chez Platon des thèmes importants : la transcendance de l'Un comme premier principe (Le Parménide), le problème de l'un et du multiple, la théorie des Idées (La République), les genres de l'être (Le Sophiste), etc.

L'Un est le principe suprême pour Plotin : cela signifie qu'il contient en lui-même sa propre raison d'être, qu'il n'a besoin d'aucun autre principe d'ordre supérieur pour « exister ». Il est absolument transcendant, à tel point qu'il n'est pas possible de dire ce qu'il est. Il ne se laisse déterminer par aucune catégorie existante ; il n'est même pas à proprement parler. Cet Un qui ne contient pas l'être est pur non-être, non pas par défaut, mais par éminence. Il est assimilé au Bien, par Plotin qui reprend, pour expliquer sa fonction, l'image du Soleil dans La République de Platon (voir allégorie de la caverne). L'Un précède tous les existants, il est leur condition de possibilité, il est leur source. Il ne contient en lui aucune multiplicité, aucune altérité, aucune division et il n'est pas sujet au changement ; il est entièrement Un.

D'une part, l'émanation explique que l'Un engendre l'Intelligence. Ensuite, l'Intelligence, elle-même sujette à la procession, engendre une réalité inférieure à elle, l'Âme et, enfin, l'Âme produit à son tour le monde sensible qui lui n'est plus le principe de rien du tout. D'autre part, la théorie de l'émanation montre que la procession est un processus logique qui ne dépend pas de la volonté d'un Créateur. Cette attitude vis-à-vis de l'origine du monde constitue une différence capitale entre le néoplatonisme païen (de Plotin) et le néoplatonisme chrétien d'un saint Augustin. En effet, ici contrairement aux penseurs juifs et aux premiers chrétiens, il n'y a aucun « acte » créateur à l'origine du monde, il n'y a aucune volonté divine à l'œuvre dans la création. L'Un donne naissance à tout, sans qu'il faille voir là l'action de sa volonté, à proprement parler.

L'Un est immuable et immobile, il n'a pas d'esprit, pas de volonté. Il est absolument transcendant et, à ce titre, il serait erroné de penser que le mouvement de procession d'où naît l'Intelligence l'affecte en quelque façon que ce soit. L'Un n'y perd rien, il ne se divise pas non plus, ni ne se morcelle en une multitude d'êtres inférieurs. Il reste entier mais « déborde » en quelque sorte vers les niveaux de la réalité qu'il domine et soutient.

L'Un se comporte à l'égard du réel un peu comme le Soleil qui, par ses rayons, donne aux objets la possibilité d'être vus, sans pour autant que l'intensité de sa lumière en perde quelque chose. L'Un est absolument transcendant, mais il est aussi immanent en tout. Il n'est nulle part, mais il est partout. Tout a rapport, à des degrés divers, à l'Un, qui est la mesure de toutes choses. Puisque tout est issu de lui, directement (dans le cas de l'Intelligence) ou indirectement, puisqu'il n'y a pas de séparation entre l'Un et le monde comme entre Dieu et sa création, tout est également lié à lui. Il est donc possible de retrouver en chaque être la trace de ses principes supérieurs. Ce mouvement de retour vers ses propres principes est appelé la « conversion », et jouera un rôle primordial dans la mystique de Plotin.

La philosophie de Plotin est généralement décrite comme une philosophie de la contemplation. Le but de l'homme sur Terre est de renouer avec sa vraie nature. Il doit donc se détourner du monde sensible, des passions, pour se concentrer d'abord sur la raison, sur la vie de l'intelligence qui est ce qu'il y a de proprement humain en lui. Mais en voulant être soi-même, en se tournant vers la partie la plus élevée de son âme, l'homme sort de sa condition et perd du même coup son identité. Il gagne en unité et se rapproche du divin, du Bien. Pour atteindre la sagesse et le bonheur, l'homme doit continuer ce mouvement introspectif, la conversion, jusqu'à retrouver en lui l'Intelligence et, au-delà d'elle, l'Un dont elle est issue. Cet idéal du bonheur (que Plotin semble avoir atteint quatre fois) est une union mystique avec Dieu, la contemplation de Dieu dans l'extase. André Bord rapproche ainsi la philosophie de Plotin des visions extatiques de saint Jean de la Croix, dans la mesure où elle préfigure la conception chrétienne de l'âme incarnée pouvant se tourner vers Dieu, par l'introspection.

Ce caractère ésotérique des écrits de Plotin est encore renforcé par l'utilisation particulière qu'il fait du langage. Pour Plotin, le langage ne peut pas rendre compte de toute la réalité. L'Un se dérobe à tout énoncé à son sujet ; étant au-delà de l'être, au-delà de la vérité, il est impossible de dire quoi que ce soit à son sujet. L'Un est ineffable ; on ne peut lui attribuer aucune détermination particulière. En cela, Plotin est le père de la théologie apophatique, ou théologie négative. Le seul discours possible sur l'Un est un discours négatif ; on ne peut pas dire ce que l'Un est, on peut simplement essayer de l'approcher en disant ce qu'il n'est pas, ou en parvenant à le contempler.

Remarque

Les néoplatoniciens identifient les dieux avec les Idées platoniciennes. Mais Plotin et Porphyre considèrent la pratique religieuse comme indigne du sage, parce qu'il est capable d'atteindre Dieu directement par l'élévation spirituelle de sa pensée, tandis que Jamblique, Proclos et l'école néoplatonicienne d'Athènes s'efforcent d'observer le plus religieusement possible les rites traditionnels.

Pierre Hadot, Études de philosophie ancienne, 1998, p. 353-354.

À suivre…





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Jahm ibn Safwân

(Partie 8)

Augustin d’Hippone

« Saint Augustin », né dans le municipe de Thagaste (actuelle Souk Ahras, Algérie) le 13 novembre 354 et mort le 28 août 430 à Hippone (actuelle Annaba, Algérie), est un philosophe et théologien chrétien. Il est l’un des quatre Pères de l'Église latine. En tant que philosophe, on le considère comme un platonicien chrétien, souvent proche de Plotin. Quand il se rend à Milan, il est séduit à la fois par la personnalité d'Ambroise, ancien haut fonctionnaire devenu évêque et homme fort de l'Empire ; et par ses sermons fortement imprégnés de néoplatonisme. Pour Ambroise en effet, l'âme prime sur le corps, et l'Ancien Testament est lu à travers un prisme néoplatonicien.

Sa rencontre avec Ambroise de Milan lui fait découvrir une nouvelle façon de lire la Bible, non plus de façon littérale, mais d'une façon allégorique propre à en découvrir le sens caché. Cette méthode, d'abord utilisée par les Grecs au viee siècle avant notre ère pour interpréter Homère a été utilisée plus tard par Philon d'Alexandrie pour la Bible, puis popularisée par Clément d'Alexandrie au iiee siècle.

Augustin est considéré comme l'une des principales figures à avoir réalisé une fusion entre le néoplatonisme, le judéo-christianisme, les Écritures, et – avec son livre la Cité de Dieu – la culture classique latine.

La façon allégorique et apologétique dont les Écrits bibliques sont interprétés donne à la philosophie grecque une place plus importante que la citation peut le laisser entendre. La volonté des apologistes chrétiens de « présenter le christianisme sous une forme compréhensible au monde gréco-latin », s'appuiera non seulement sur Philon d'Alexandrie, qui avait tissé des liens entre le Judaïsme et la pensée grecque, mais également aidés sur le prologue de l'évangile de Jean : « Au commencement était le Logos, et le Logos était près de Dieu et le Logos était Dieu » En effet le Logos, concept central de la philosophie grecque, permet d'interpréter les Évangiles dans les termes de la philosophie grecque comme l'avait vu Amélius, un disciple de Plotin. De sorte que le christianisme va pouvoir apparaitre comme une philosophie, voire comme la philosophie. Augustin s'inscrit clairement dans cette problématique.

Depuis le iie siècle les auteurs chrétiens tels Clément d'Alexandrie ou Origène s'intéressent au platonisme de façon à adapter le christianisme au monde gréco-latin. Lorsqu'Augustin arrive à Milan au ive siècle, le néoplatonisme de Plotin, un Grec d'Égypte dont les entretiens Les Ennéades ont été publiés par son disciple (un autre Grec de Tyr du nom de Porphyre), connaît une très grande faveur, tant auprès des païens que des chrétiens.

Les écrits des néoplatoniciens traduits en latin par un chrétien, Marius Victorinus, exercent un forte influence sur Ambroise de Milan, le grand homme du christianisme de l'époque – et futur saint –, pour qui « les disciples de Platon représentent l'aristocratie de la pensée ». Pendant ses années en Italie du nord, Augustin s'imprègne de ces écrits, et d'une certaine façon les fait siens.

Peter Brown estime que « Plotin et Porphyre sont en quelque sorte greffés de façon presque imperceptible dans ses écrits et forment comme la base toujours présente de sa pensée ». Plusieurs éléments attirent alors les chrétiens vers les néoplatoniciens : le Royaume du Christ n'est pas de ce monde et celui des platonicien non plus puisqu'il est dans le royaume des idées ; pour les platoniciens l'Intellect est un médiateur entre l'Un et le monde extérieur, une idée que les chrétiens rapprochent de l'évangile de Jean, où il est question du « Verbe ».

La lecture de l'Hortensius de Cicéron va profondément changer la conception qu'il se fait de Dieu. Avant cette période, il avait une conception anthropomorphique de Dieu. Dans les Confessions, il écrit : « Je ne te concevais pas ô Dieu, sous la forme d'un corps humain, depuis que j'avais commencé à entendre parler quelque peu de la sagesse ». Mais, c'est l'œuvre des néoplatoniciens qui va lui permettre de sortir de la vision manichéenne et qui va lui apprendre « une méthode d'accès à Dieu par l'intériorité ».

Pour Henri-Irénée Marrou, au Moyen Âge, deux civilisations chrétiennes dont l'aire d'influence recouvre celui de deux grandes langues ou de leurs dérivés à savoir, le latin et le grec, se partagent l'Europe. Cette séparation débute dès le Bas-Empire. Augustin qui ne lit pas couramment le grec est à cet égard exemplaire de la chrétienté occidentale. Il est à la fois un héritier de la culture romaine antique et annonce déjà ce que sera le christianisme occidental du Moyen Âge et plus généralement la culture qui s'y développera. Pour Henri-Irénée Marrou, Augustin est le Père de l'Occident et tient le rôle qu'Origène tient dans le christianisme oriental (grec, et russe en particulier).

Durant cette période, Augustin est au firmament, et vient juste après les apôtres dans l'occident chrétien. Cette prédominance d'Augustin dure jusqu'au début du xiie siècle.

À partir de la fin du xiie siècle l'occident peut accéder à l'œuvre entière d'Aristote alors que jusqu'à cette époque, il ne dispose que de son œuvre logique, grâce en particulier aux traductions de l'arabe et du grec. Les conséquences furent doubles : un recul des belles-lettres (un des points forts d'Augustin), et un accent mis sur la pensée pure. La pensée d'Augustin qui a jusque là régné en maître décline, Aristote devient « le Philosophe », et le platonisme et le néo-platonisme qui ont tant imprégné la pensée d'Augustin et de Thomas d'Aquin devient progressivement la référence. Mais les conflits entre Augustiniens et thomistes seront importants au xiiie siècle en opposant deux grands ordres religieux : d'un côté les dominicains ralliés à Thomas d'Aquin, de l'autre les franciscains autour de Bonaventure et de Duns Scot– ainsi que les Grands-Augustins autour de Gilles de Rome et de Grégoire de Rimini. Concernant Thomas d'Aquin lui-même les choses sont complexes. Selon Henri-Irénée Marrou, il incorporait dans son « aristotélicisme systématique et en quelque sorte radical [...] des pans entiers d'augustinisme » : Thomas d'Aquin combattrait un « augustinisme avicennisant » et un « aristotélisme averroïste ».

Jean le Damascène

Jean Damascène est né dans une famille chrétienne arabe éminente appelée Manssour (arabe : Mansǔr, « victorieux ») à Damas au viie siècle. Il a été nommé Manssour ibn Sarjun Al-Taghlibi (arabe : ãäÕæÑ Èä ÓÑÌæä ÇáÊÛáÈí) comme son grand-père Manssour, chargé des impôts de la région par l'empereur Héraclius. Quand la région fut sous domination arabo-musulmane fin viie siècle, à la cour de Damas il restait des fonctionnaires chrétiens, dont le grand-père de Jean. Sarjun ou Manssour, son père, servit les califes musulmans, dans la perception des taxes, pour l'ensemble du Moyen-Orient. Après la mort de son père, Jean a également servi un haut officier à la Cour du califat omeyyade.

Son tuteur, est un moine du nom de Cosmas, qui avait été capturé par les Arabes depuis son domicile en Sicile, et pour lesquels le père de Jean a payé une somme élevée. Dans le cadre de l'instruction de Cosmas, Jean fit de grands progrès notamment en théologie ; comprendre en philosophie et en logique grecque.

L'Église catholique a tendance à assigner un terme à une « période patristique » et à considérer Jean Damascène et Isidore de Séville comme les derniers Pères.

Moïse Maïmonide

Moïse Maïmonide est un rabbin andalou du xiie siècle (Cordoue, 30 mars 1138 - Fostat, 13 décembre 1204), considéré comme l'une des figures les plus importantes du judaïsme, toutes époques et tendances confondues. Médecin, philosophe juif, commentateur de la Mishna, jurisconsulte en matière de Loi juive et dirigeant de la communauté juive d'Égypte, il excelle dans tous ces domaines, et influence également le monde non-juif, notamment Thomas d'Aquin, qui le surnomme « l'Aigle de la Synagogue. » Il lut Aristote, Hippocrate et bien d'autres et prit connaissance des écrits d'Averroès à la fin de sa vie.

Sa première grande œuvre fut le Commentaire sur la Mishna. En théologie, il est notamment l'auteur du Mishné Torah, ouvrage monumental rédigé en hébreu, et non en arabe ou en araméen comme il était d'usage, et destiné à remédier à la dispersion millénaire des règles de la pratique juive (Mishna). Son œuvre dans ce domaine constitue encore le socle de la loi rabbinique.

Comme philosophe, il introduisit la logique aristotélicienne dans la pensée juive et ouvrit des pistes dans les domaines de la psychologie et de l'éthique. Mais son apport essentiel consiste en une conciliation de la science et de la religion qu'il expose dans son Guide des égarés écrit cette fois en arabe. Maïmonide estime que la recherche sans préjugés de la « vérité scientifique », loin d'exclure Dieu, amène à mieux connaître sa perfection - pensée que l'on retrouve d'une certaine manière chez un autre Cordouan musulman, Averroès.

Ces œuvres exercèrent une influence durable sur la philosophie scolastique, et ses plus grandes figures, Albert le Grand, Thomas d'Aquin et Duns Scot. Lui-même peut être considéré comme un scolastique juif. Davantage éduqué dans la lecture des travaux des grands penseurs musulmans que dans le contact personnel avec leurs auteurs, il développa, outre une connaissance intime de la philosophie arabe, une maîtrise des doctrines d'Aristote. Toute son œuvre vise à réconcilier la philosophie aristotélicienne et la science avec les enseignements de la tradition juive.

Les 13 principes de la foi, dont :

Je crois d'une foi entière que le Créateur, que Son Nom soit béni, est incorporel; qu'Il est libre de toute représentation et propriété anthropomorphique, et qu'Il n'a aucune ressemblance.
Dieu est non-physique, incorporel et éternel, c'est-à-dire intemporel - Toutes les sentences anthropomorphistes dans la Bible et la littérature rabbinique sont des à-peu-près du langage, ou des métaphores; il serait impossible de parler au commun de Dieu sans elles.
Je crois d'une foi entière que le Créateur, que Son Nom soit béni, est le premier et le dernier.
Il est antérieur au monde, lequel n'est donc pas éternel, contrairement à ce que pense Aristote.

Maïmonide écrivit vers sa vingtième année un traité de logique aristotélicienne très inspiré par Al-Farabi. Cet ouvrage, chef-d'œuvre de concision, est un exemple de pédagogie. Le traité est rédigé en arabe. Il fut dans les années qui suivirent la mort du maître survenue en 1204 traduit en hébreu. Il expose l’essentiel de la logique aristotélicienne telle que l’enseignaient les grands penseurs arabes, Avicenne et surtout Alfarabi, « le deuxième Maître », le premier étant évidemment Aristote.

Le kalam juif

Le kalam juif fut la première forme de philosophie judéo-islamique. Elle évolua en réponse au Kalam islamique, qui était lui-même une réponse à l'aristotélisme. Le terme est d'usage récent, et ne fut jamais utilisé par ses adhérents, qui se dénommaient simplement Mutakallimūn (Kalamistes), comme les autres praticiens de la doctrine ; c'est également ainsi qu'ils sont appelés par Moïse Maïmonide et d'autres penseurs juifs.

Apparu concomitamment avec le karaïsme, il fut adopté avec enthousiasme par ceux-ci, et demeura leur doctrine majeure tout au long de leur histoire.

Moïse Maïmonide, dans son Guide des Egarés, fait fréquemment référence aux opinions des Mutakallimūn — juifs et musulmans — et les dispute, arborant une opinion peu amène du Kalam en général. Juda Halevi fait également référence aux adeptes juifs du Kalam, mais ne mentionne que les Karaïtes (Wolfson 1967), dont le fameux Joseph ben Abraham al-Basir.

Extrait :

Quant à ce peu de choses que tu trouves du calâm (sic) chez quelques Gueônîm et chez les Karaïtes, au sujet de l'unité de Dieu et de ce qui s'y rattache, ce sont des choses qu'ils ont empruntées aux Mot écallemîn des musulmans, et c'est très peu en comparaison de ce que les musulmans ont écrit là-dessus. Il arriva aussi que, dès que les musulmans eurent commencé (à embrasser) cette méthode, il se forma une certaine secte, celle des Mo'tazales, et nos coreligionnaires leur firent maints emprunts et suivirent leur méthode. Beaucoup plus tard, il naquit parmi les musulmans une autre secte, celle des Asch'ariyya, proférant d'autres opinions, dont on ne trouve rien chez nos coreligionnaires; non pas que ceux-ci aient choisi de préférence la première opinion plutôt que la seconde, mais parce qu'il leur était arrivé par hasard de recevoir la première opinion, et qu'ils l'avaient adoptée en la croyant fondée sur des preuves démonstratives...

– Moïse Maïmonide, Le Guide des Egarés, pp. 174-175, éd. Verdier

À suivre…





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  #9  
ÞÏíã 08 Jun 2013, 04:22 PM
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Jahm ibn Safwân

(Partie 9)

Thomas d'Aquin

Il est considéré comme l'un des principaux maîtres de la philosophie scolastique et de la théologie catholique. Dans la continuité du propos de l'Église catholique, Thomas d'Aquin a proposé, au xiiie siècle, une œuvre théologique qui repose, par certains aspects, sur un essai de synthèse de la raison et de la foi, notamment lorsqu'il tente de concilier la pensée chrétienne et la philosophie réaliste d'Aristote. Il distingue les vérités accessibles à la seule raison, de celles de la foi, définies comme une adhésion inconditionnelle à la Parole de Dieu.

Il découvre sans doute alors Aristote à travers Averroès dont les traductions latines commencent à circuler (son maître, Albert le Grand, est un dominicain commentateur d'Aristote). Il entame ses commentaires sur Aristote par le Commentaire « De l'âme » (1267-1268), en adoptant la méthode d'explication mot à mot des grands commentaires (tafsîr) d'Averroès. Thomas d'Aquin, qui est un des premiers – sinon le premier – à distinguer une théologie naturelle et une théologie révélée, est parti en quête d'une intelligence de la foi, par la raison naturelle, en s'appuyant notamment sur Aristote. Cependant, les études contemporaines ont rappelé que Thomas d'Aquin est avant tout théologien, et que sa philosophie s'insère dans un système théologique chrétien, qui prend en compte la création, l'existence de Dieu, la vie de la Grâce, la Rédemption.

Depuis la fin du xixe siècle, les objections de la critique rationaliste ont incité l'apologétique catholique à mettre en évidence certaines positions de Thomas d'Aquin concernant les rapports de la foi et de la raison. Thomas d'Aquin soutient en effet que la foi chrétienne n'est ni incompatible, ni contradictoire avec un exercice de la raison conforme à ses principes, c'est-à-dire non détournée de ses fins naturelles par le vice et le péché. Les vérités de la foi et celles de la raison peuvent être intégrées dans un système synthétique harmonieux, sans se contredire.

À une époque où la philosophie commence à s'organiser en discipline autonome dans les écoles et les universités, il place les vérités transmises par la Sacra doctrina – la Révélation – au-dessus de toutes les sciences, puisque la Révélation vient de Dieu, qui, par définition, ne peut ni se tromper ni nous tromper. Dans cette perspective théologique, Thomas d'Aquin pose comme principe le respect de l'ordre rationnel, créé et voulu par Dieu pour permettre à l'homme de connaître la vérité. Il distingue de ce fait raison naturelle et raison éclairée par la Révélation (Écriture et Tradition), théologie naturelle et théologie révélée.

Thomas d'Aquin est l'héritier du schéma explicatif dit « des quatre sens de l'Écriture » qui repose essentiellement sur une distinction entre le sens littéral et le sens spirituel ou allégorique des textes sacrés, diffusée dès l'antiquité par les auteurs du Nouveau Testament. Thomas en affine l'explication théorique ou scolastique. Les choses signifiées par les mots de l'Écriture renvoient elles-mêmes à d'autres choses.

C'est ainsi que l'herméneutique scripturaire de Thomas d'Aquin expose le sens littéral ou historique comme étant le fondement des sens spirituels de l'Écriture : le sens allégorique, le sens tropologique et le sens anagogique.

La méthode de la théologie développée par Thomas d'Aquin est une théologie dite négative, car elle progresse par mode de privation. La méthode sera ainsi la suivante : Dieu est infini parce qu'il n'est pas fini, il est bon parce qu'il n'est pas mauvais, etc.

La connaissance intellectuelle humaine (cela ne vaut ni pour l'ange ni pour Dieu) est le fruit d'un processus cognitif d'abstraction qui conduit l'esprit humain de l'expérience sensible et matérielle à la connaissance immatérielle de l'intellect par la médiation de la connaissance sensible qu'il qualifie d'immatérielle.

Thomas établit que l'homme peut acquérir la connaissance de l'existence de Dieu à partir du monde et non à partir de la déduction de principes logiques ou abstraits. Il est tout à fait possible d'accéder à une certaine connaissance de Dieu - principalement son existence, son statut de cause première - sans Révélation, en observant le monde, par une connaissance indirecte et a posteriori. C'est le sens des voies dites cosmologiques qui conduisent à la connaissance de l'existence de Dieu à partir de l'observation de l'univers. Thomas d'Aquin proposera cinq voies qui conduisent à conclure, par l'exercice de la raison, à l'existence d'un être que tout le monde appelle Dieu.

La thèse de Thomas est que foi et raison ne peuvent se contredire car elles émanent toutes deux de Dieu ; la théologie et la philosophie ne peuvent donc pas parvenir à des vérités divergentes. C'est l'argument de la double vérité que l'on trouve dans la Somme contre les Gentils et dans la question 1 de la Somme théologique : comme la lumière de la raison et celle de la foi viennent toutes deux de Dieu, elles ne peuvent se contredire. Mieux encore, la foi se sert de la raison.

Thomas d'Aquin rendra célèbre l'adage selon lequel « la philosophie est la servante de la théologie » (Philosophia ancilla theologiae) dans la mesure où la philosophie, en réfléchissant sur les conditions d'un usage cohérent des concepts et du langage, permet à la théologie de rendre raison de manière fondée et rationnelle des vérités de foi qui sont, par définition, inaccessibles à la raison mais non contraires à celle-ci. Il y a donc collaboration hiérarchisée entre la servante et la maîtresse, toutes deux subordonnées à la science divine, mais chacune à son rang : la théologie comme science supérieure parce qu'elle tient directement ses principes de la Révélation et se sert des conclusions de toutes les autres sciences, tandis que la philosophie, dont les fins sont ordonnées à celle de la théologie, tient ses principes de la seule raison.

La méthode pour remonter à Dieu par la raison se résume à trois points : par mode de causalité (il est la cause de ce monde), par mode de négation, c’est-à-dire en niant en lui ce qui est limite en nous (par exemple : Dieu n'est pas matériel, mortel, localisé etc.), et par mode d'éminence, en affirmant qu'il existe en lui éminemment ce qui est qualitatif en nous (par exemple : Dieu est amour, intelligence, puissance).

Thomas d'Aquin dit qu'il y a cinq voies (quinquae viae) pour prouver que Dieu existe :

1° par le mouvement : les choses sont constamment en mouvement, or il est nécessaire qu'il y ait une cause motrice à tout mouvement. Afin de ne pas remonter d'une cause motrice à une autre, il faut reconnaître l'existence d'un « Premier moteur non mû » : c'est Dieu.

2° par la causalité efficiente (ex ratione causae efficientis) : nous observons un enchaînement de causes à effet dans la nature, or il est impossible de remonter de causes à causes à l'infini ; il faut nécessairement une Cause Première : c'est Dieu.

3° par la contingence : il y a dans l'univers des choses nécessaires qui n'ont pas en elles-mêmes le fondement de leur nécessité. Il faut donc un Être par Lui-même nécessaire qui est Dieu.

4° par les degrés des êtres : preuve reprise de Platon, qui a remarqué qu'il y a des perfections dans les choses (bien, beau, amour, etc.) mais à des degrés différents. Or il faut nécessairement qu'il y ait un Être qui possède ces perfections à un degré maximum, puisque dans la nature toutes les perfections sont limitées.

5° par l'ordre du monde : on observe un ordre dans la nature : l'œil est ordonné à la vue, le poumon à la respiration, etc. Or à tout ordre il faut une intelligence qui le commande. Cette Intelligence ordinatrice est celle de Dieu.

Thomas d'Aquin n'avait aucunement pour but de prouver l'existence de Dieu ; il s'adressait en effet à des étudiants en théologie (c'est-à-dire des frères prêcheurs, des prêtres, etc.), pour lesquels cette existence était considérée comme acquise. L'intention de Thomas d'Aquin était plutôt de montrer que l'on pouvait accéder à Dieu au moyen de la raison naturelle, en partant de ce que l'on constate du monde. C'est pourquoi il ne propose pas de « preuves », mais des « voies ».

Les questions 2 à 26 de la première partie de la Somme théologique concernent le Dieu unique, c’est-à-dire le Dieu des métaphysiciens.

Nous y découvrons que Dieu existe (qu. 2), qu'Il est simple (qu. 3), infini (qu. 7-8), parfait (qu. 4-6) et immuable et éternel (qu. 9-10).

Premièrement, Il n'est pas corps : Dieu est le premier moteur immobile, or aucun corps ne meut à moins qu'il soit mû, donc Dieu n'est pas un corps. Il ne peut être composé de matière et de forme, puisque la matière est en puissance et que Dieu est acte pur. Son existence inclut l'essence ou « Dieu est identique à son être » car l'acte d'exister ne demande que la cause d'existence, qui est par soi en Dieu.

Thomas d'Aquin est considéré comme un philosophe réaliste. Il retient d'Aristote le fait que toute connaissance est d'abord sensible avant d'être dans l'intelligence. La réalité n'est donc pas en dehors de l'être humain, comme chez Platon, mais elle ne relève pas uniquement du sensible. Thomas d'Aquin écarte la position de Platon pour qui les idées sont des substances totalement séparées des corps sensibles. Il faut aussi écarter la position de Démocrite pour qui les sens et l'intelligence étaient exactement la même chose. Seul Aristote avait une position intermédiaire satisfaisante. C'est sur ce dernier que Thomas d'Aquin s'inspire afin de développer une théorie de la connaissance réaliste.

« Aristote, lui, prit une voie intermédiaire. (…) Dans la mesure où il dépend des images, l’acte intellectuel est causé par le sens. »

Nous trouvons donc chez Thomas d'Aquin une interprétation du réalisme aristotélicien situé entre le platonisme et l'empirisme de Démocrite, où l'intelligence est un intellect agent qui actualise l'intelligence humaine à partir de perceptions sensibles, purement passives, car elles ne font que recevoir l'action d'un objet extérieur. Ainsi, tout ce que nous connaissons par la sensibilité est individuel ou singulier : seul l'intellect agent généralise ensuite les perceptions sensibles en idée générale, c’est-à-dire en concept.

Thomas d'Aquin distingue les sens internes des sens externes :

les sens externes sont les cinq sens (vue, odorat, toucher, ouïe, goût) qui permettent à l'homme de faire expérience du monde matériel ;
les sens internes sont le sens commun (discernement et synthèse des sensations), la fantaisie, l'imagination, l'estimation et la mémoire.




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