Les variations de la foi
(Partie 3)
Les variations de la foi chez les murjiya el fuqaha
Tous les
murjites parmi les légistes et les
mutakallimîn s’accordent à dire que la foi ne peut ni monter ni descendre. Ils rejoignent en cela, comme l’explique ibn Taïmiya, les
kharijites et les
mu’tazilites, pour qui la foi est une est indivisible ; en en perdant une partie, elle disparait entièrement. Ils en concluent que les plus pervers des croyants et les prophètes et les anges sont égaux dans la foi.
[1] Ils se basent sur le principe que le
tasdîq venant du cœur et de la parole ou seulement du cœur n’accepte aucune variation.
[2] Les
murjiya el fuqaha, avec
Hammâd ibn Abî Sulaïmân à leur tête, n’échappent pas à la règle.
[3]
Or, ces derniers acceptent de dire que la foi monte, en faisant allusion aux étapes de la Révélation du Coran. En d’autres termes, ils accordent qu’à l’époque prophétique, la venue d’un nouveau Verset imposait un nouveau
tasdîq par rapport à ceux auxquels on donnait déjà foi. Le cumul de
tasdîq est la raison de l’augmentation de la foi, mais celle-ci s’arrêta le jour où le Livre d’Allah fut parachevé. Depuis, la variation de la foi est impossible sous quelle forme que ce soit.
[4]
Ainsi, ils sont fidèles au principe de l’indivisibilité de la foi qui refuse toute variation que ce soit du point de vue des commandements divins ou du point de vue du comportement de l’individu face à ses commandements, dans le sens où il n’y a pas de différence entre les pieux et les pervers.
[5]
Notons que les
murjites étaient plus allergiques au terme « descendre » que « monter », car, à leurs yeux, le premier impliquait la disparition totale de la foi.
[6] Quand ils utilisent les termes « monter » et « descendre », ils font allusion aux actes qui varient d’un individu à un autre, en sachant qu’ils ne font pas, pour eux, partie intégrante de la foi. La variation porte donc uniquement sur les fruits et les résultats, non sur la foi en elle-même.
[7]
En réalité, les variations de la foi ont lieu à plusieurs niveaux :
•Au niveau des commandements divins,
[8]
•Au niveau de l’état de l’individu
[9] ; celle-ci varie en fonction :
- des actes extérieurs ;
- des actes du cœur qui varient d’un individu à un autre, mais aussi chez un même individu d’une période à une autre ;
- du savoir et du
tasdîq qui varient quantitativement et qualitativement d’un individu à un autre, mais aussi chez un même individu ;
- des causes à l’origine de cette variation ;
- de la constance et de l’assiduité ;
- des différences de nature, etc.
Les variations de la foi chez les jahmites
Il va sans dire que les
jahmites ignorent toute variation dans la foi, pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus. Ils pensent que la connaissance d’Allah est fixe. Toute entité ne peut à la fois être connue sous un angle et inconnue sous un autre angle. Nombre de traditionnistes et de légistes parmi notamment les
hanbalites, auxquels il faut ajouter un grand nombre de partisans d’el
Ash’arî et de
murjtes, s’alignent avec Jahm sur l’idée disant que la
ma’rifa est invariable.
[10] Nous avons vu que renier le
tafâdhul dans certains détails de la foi est certes caractéristique aux
murjites pour qui la foi est indivisible. Néanmoins, cette opinion est parfois reprise par des savants qui ne comptent pas parmi eux.
[11]
L’influence grecque
Par souci de classification, la logique grecque établit des principes qui restent au stade de la pure représentation mentale, mais qui n’ont aucune place dans le monde réel.
[12] Quand ils parlent de l’Homme, en tant qu’espèce et dans l’absolu, ils font allusion au genre humain, cet ensemble dans lequel entrent tous les membres de son espèce. C’est une conception purement abstraite et absolue. Elle reste dans le monde des idées, indépendamment de toute application concrète. Quand on prend un homme x, il n’est pas une partie de l’Homme absolu, étant donné que ce dernier n’existe pas.
[13] Les philosophes les plus objectifs l’ont bien compris. Ils contestent ce que les anciens appelaient l’idéal platonicien. Sans entrer dans les détails, Platon avait imaginé un monde sans forme, purement utopique, et parallèle au nôtre.
Or, les conceptions absolues ne dépassent pas le stade de l’imagination, et celles-ci n’ont aucun lien avec la réalité.
[14] Malheureusement, les
mutakallimins ont repris ce principe pour l’appliquer au crédo musulman dans les domaines du
tawhîd, des Attributs divins, du caractère incréé du Coran, et de… l’
îmân.
[15] Ils s’imaginent une fois absolue et imaginaire, et qui est une et indivisible. Ensuite, ils appliquent cette conception abstraite à un cas particulier qui est soumis aux lois de la nature et de la religion, et qui a ses propres caractéristiques. C’est ce qui les fait arriver à des conclusions aberrantes que les plus sensés d’entre eux ont cherché, souvent en vain, à pallier !
L’istithnâ : dire je suis croyant in shâ Allah !
La plupart des traditionalistes, avec, à leur tête, les Compagnons, les grands
imâms parmi leurs successeurs, et la grande majorité des anciens en générale autorisent l’
istithnâ.
[16] Il est communément transmis que les prédécesseurs, à l’image d’ibn Mas’ûd et ses adeptes, Sufiân e-Thawrî, ibn ‘Uaïyna, la majorité des savants de
Kûfa, ceux de
Bassora comme le rapporte Ya
hyâ ibn Sa’îd el Qa
ttân, A
hmed ibn
Hanbal, etc. avaient ce genre d’expression,
[17] qui faisait partie de leur usage (
sunna), dans le sens où elle était, pour eux, tolérée. Ils affichaient ainsi leur opposition à ceux qui l’interdisaient.
[18] Certains d’entre eux, à l’instar d’e-Lalakâî, allaient jusqu’à l’obliger.
[19]
Il ne faut pas voir de contradiction entre ces deux opinions, car cela dépend sous quel angle on regarde la chose. C’est pourquoi, ibn Taïmiya considère que l’opinion la plus juste consiste à conjuguer entre elles en autorisant l’
istithnâ dans certains cas de figure, mais pas tout le temps.
[20]
Les cas de figure oùl’istithnâ est autorisée
1- Quand c’est en vue de ne pas se faire des éloges, en faisant penser qu’on a atteint une foi pleine en se pliant à tous les commandements divins (obligations/interdictions).
2- Quand on met l’accent sur le fait qu’on n’est pas sûr que ses œuvres sont acceptées par Allah.
3- Quand on craint d’avoir une mauvaise fin, étant donné que personne ne connait l’avenir.
4- Quand on fait allusion à ce dont on est sûr, et sur quoi on a aucun doute, mais tout en s’en remettant à Dieu, et en reposant ses espoirs en Lui.
[21]
Les cas de figure oùl’istithnâ est interdit
1- Quand on fait allusion à l’essence de la foi sur quoi il est interdit de douter.
2- Quand on fait allusion à ce dont on est sûr, comme le fait qu’on aime Allah, qu’on donne foi à Sa religion, qu’on fournit l’essence de la foi au minimum sans prétendre avoir une foi parfaite, qu’on est musulman, etc.
[22]
Nous pouvons voir que la divergence entre traditionalistes porte uniquement ou presque sur la forme.
L’istithnâ chez les murjiya el fuqaha
Les
murjiya el fuqaha, avec
Hammâd ibn Abî Sulaïmân à leur tête, mais aussi Abû
Hanîfa, interdisent purement et simplement l’
istithnâ,
[23] car cela revient à leurs yeux à douter de sa croyance (
tasdîq), ce qui est une forme de mécréance.
[24] Ils sont ainsi fidèles à leur principe selon lequel la foi est une et indivisible, et qu’elle ne se distingue pas d’un individu à un autre. Ils trahissent, en réalité, qu’ils font sortir tous les actes (intérieurs, extérieurs) de la définition de la foi.
[25]
L’istithnâ chez les jahmites
Les
jahmites interdisent l’
istithnâ au même titre que les
murjiya el fuqaha.
[26] Les
murjites trouvèrent une parade en vue de faire passer leurs idées. Ils s’amusaient à mettre les gens à l’épreuve en le demandant : «
Es-tu croyant ? » Ils les mettaient au pied du mur, car ils savaient que personne ne pouvait le renier. Ils en arrivaient à la conclusion que la foi était synonyme de
tasdîq, en parvenant ainsi à berner les plus crédules. Certains anciens, comme l’Imâm A
hmed, avait très bien compris leur manège. Ils mirent au rang de l’innovation ce genre de questions binaires et fallacieuses ; c’est pourquoi, ils préconisaient le détail.
[27]
Wa Allah a’lam !
[1]Manhâj e-sunna(5/204-205).
[2]Majmû’ el fatâwâ(6/479).
[3]Majmû’ el fatâwâ(7/507).
[4]Majmû’ el fatâwâ(7/195).
[5]Majmû’ el fatâwâ(13/55).
[6]Majmû’ el fatâwâ(7/404).
[7]Majmû’ el fatâwâ(7/562).
[8]Majmû’ el fatâwâ(7/196).
[9]Majmû’ el fatâwâ(7/562).
[10]Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naqld’ibn Taïmiya (7/451).
[11]Majmû’ el fatâwâ(7/408).
[12]Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql(1/286).
[13]Majmû’ el fatâwâ(5/206).
[14]Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql(1/301).
[15]Majmû’ el fatâwâ(7/405-407).
[16]Majmû’ el fatâwâ(7/505).
[17]Majmû’ el fatâwâ(7/438-439).
[18]Majmû’ el fatâwâ(7/666).
[19]Majmû’ el fatâwâ(7/429-446).
[20]Majmû’ el fatâwâ(7/446).
[21]Majmû’ el fatâwâ(3/289-290) ; (7/446).
[22]Majmû’ el fatâwâ(7/375, 669).
[23]Majmû’ el fatâwâ(13/42) ; (7/507).
[24]Majmû’ el fatâwâ(13/40).
[25]Majmû’ el fatâwâ(7/375).
[26]Majmû’ el fatâwâ(7/429).
[27]Majmû’ el fatâwâ (7/448-449).