La place des actes dans la pensée murjite
(Partie 3)
Ishâq ferait allusion à une tendance des murjites ultra
Concernant le passage : «
Ils pensent que nous remettons à Allah le sort (yurja amruu ilâ Allah)
d’un tel individu. L’essentiel, à leurs yeux, c’est qu’il les reconnaît. Nul doute qu’ils sont des murjites
! »
Dans une autre annale, Is
hâq ibn Rahawaïh tente de donner sa définition de l’
irjâ.
[1] Honnêtement, le passage en question est obscur, mais il semble expliquer que les
murjites ultra, comme les nomment ibn Taïmiya,
[2] remettent le sort à Dieu des auteurs des grands péchés, comme nous l’avons vu avec la troisième hypothèse venant de Shahristânî sur l’origine du terme. Ils diffèrent leur jugement au Jour de la résurrection, sans savoir aujourd’hui s’ils sont des gens de l’Enfer ou du Paradis. Ils se font appeler les
wâqifa pour leur « abstention », et s’inscrivent en porte à faux avec les
muhakkâma, une secte
kharijite. Nous parlerons plus en détail de cette tendance,
in shâ Allah, dans un prochain article.
Ishâq parle de ceux qui refusent de faire l’istithnâ
Concernant le passage : «
Par ailleurs, ils se divisent en plusieurs catégories : certains, notamment, affirment qu’ils sont absolument croyants, sans n’émettre la restriction qu’ils sont croyants auprès d’Allah. Ils sont les plus proches de la vérité, car ils disent que la foi est composée des paroles et des actes. »
Selon Sulaïmân el Ash’ath Abû Dâwûd e-Sijistânî, j’ai entendu quelqu’un interroger Abû ‘Abd Allah : «
Peut-on me reprocher de dire je suis croyant ?
-
Ne dis pas simplement : je suis absolument ou réellement croyant, ou bien je suis croyant auprès d’Allah. »
[3]
Dans un échange qui opposa l’
Imâm A
hmed à l’un de ses contemporains qui était venu pour l’interroger sur l’
îmân : «
Elle se compose de la parole et des actes, lui répondit-il.
-
Est-ce qu’elle monte ?
-
Elle monte et elle descend.
-
Est-ce que je peux dire : je suis croyant in shâ Allah
?
-
Oui.
-
Mais, ils me disent que cela revient à donner de ma croyance !
-
C’est une très mauvaise parole. »
Puis, le
sheïkh en question sortit avant qu’il se fasse rappeler par l’
Imâm qui lui demanda à son tour : «
Ne disent-ils pas que la foi se compose des paroles et des actes, qu’elle monte et qu’elle descend ?
-
Si !
-
Alors ils reconnaissent l’istithnâ.
-
Comment cela, Abâ ‘Abd Allah ?
-
Dis-leur : d'un côté, vous prétendez que la foi se compose des paroles et des actes, mais vous avez fourni la parole sans fournir les actes. L’istithnâ
porte donc sur ces fameux actes.
-
Peut-on faire l’istithnâ
pour parler de la foi, lui demanda-t-on ?
-
Oui, en disant : je suis croyant in shâ Allah
… »
[4]
Sulaïmân ibn
Harb explique que l’
Imâm met l’accent sur le fait qu’on n’est pas sûr que ses œuvres soient acceptées par Allah.
[5] Il peut également faire allusion à ce dont on est sûr, et sur quoi on a aucun doute, mais tout en s’en remettant à Dieu, et en reposant ses espoirs en Lui.
[6] Ailleurs, l’
Imâm ne voit pas d’inconvénient ou presque à ce qu’on refuse de faire l’
istithnâ, mais à condition de dire que la foi se compose des paroles et des actes, qu’elle monte et qu’elle descend.
[7]
On interrogea l’
Imâm A
hmed sur celui qui dit que la foi monte et descend. Ce dernier répondit : «
Il n’a aucun lien avec l’irjâ
. »
[8] La raison, c’est que ce crédo repose sur l’intégration des actes dans la définition de la foi.
• Un jour, on demanda à l’
Imâm : «
Qui sont les murjites
?
-
Ce sont ceux qui disent que la foi se compose de la parole sans les actes. »
[9]
• Il disait également sur ceux ne reconnaissant pas que la foi se compose des paroles et des actes : «
Ce sont des murjites ! »
[10]
• Mis’ar ibn Qidâm voyait que la foi se composait des paroles et des actes, sauf qu’il refusait de dire je suis croyant
in shâ Allah (l’
istithnâ), et le justifiait en disant : «
Moi, je ne doute pas de ma foi. »
[11] Pourtant, l’
Imâm A
hmed l’innocentait de l’
irja.
[12]
Sheïkh el Islamexplique que l’
Imâm A
hmed ne le comptait pas parmi les
murjites, qui, contrairement à lui, sortaient les actes de la définition de la foi. Il justifiait simplement qu’il ne doutait pas sur sa foi.
[13]
Pourtant, certaines annales rapportent que l’
Imâm était sévère contre ceux qui ne voyaient pas l’
istithnâ,
[14] mais il visait en réalité ceux qui sortaient les actes de la définition de la foi. Certains anciens disaient également que renoncer à l’
istithnâ est le premier pas dans l’
irja.
[15] Cela ne veut pas dire que d’y renoncer on est forcément un
murjite,
wa Allah a’lam !
• Son fils l’interrogea une autre fois sur ceux qui disaient que la foi est composée des paroles et des actes, qu’elle monte et qu’elle descend, mais sans faire l’
istithnâ : «
Est-il un murjite
?
-
Je pense qu’il n’en est pas un ! »
[16]
• On le questionna également sur celui qui dit : «
Je suis croyant pour moi par rapport aux lois terrestres et à l’héritage, mais je ne sais pas si je le suis auprès d’Allah.
-
Ce n’est pas un murjite
, assura-t-il en réponse. »
[17]
En revanche, ibn
Hanbal est intraitable envers la tendance qui confine la foi dans la parole, tout en reconnaissant qu’elle monte, mais sans descendre.
[18] Même jugement envers celle qui, très proche de l’autre, la confine dans la parole, bien qu’elle considère les actes comme des lois (
sharâi’) par rapport à la foi.
[19]
Ainsi, A
hmed ne concède pas à Is
hâq qu’en refusant de faire l’
istithnâ, on est forcément
murjite, comme nous l’avons vu. Il y a d’ailleurs d’autres points avec lesquels il n’est pas forcément d’accord avec lui, comme dans l’exemple suivant :
Selon
Harb ibn Ismâ’îl, j’ai entendu quelqu’un interroger Is
hâq ibn Rahawaïh : «
Quelqu’un qui dit : je suis réellement croyant ?
-
Il est réellement mécréant ! »
[20]
Selon Ziyâd ibn Dâwûd, j’ai entendu dire A
hmed ibn
Hanbal : «
Je n’aime pas qu’on dise : je suis réellement croyant, mais je ne voue pas à la mécréance celui qui le dit. »
[21]
Quoi qu’il en soit, les
murjites s’entendent à sortir les actes de la définition de la foi. Quant aux déviations que l’on peut trouver dans le chapitre de la foi, celles-ci proviennent soit des implications de cette croyance (interdire toute variation, tout fractionnement, la coexistence de la croyance et la mécréance chez un seul individu, imaginer une foi sans qu’elle ne se reflète sur les actes, ou en d’autres termes, une foi sans acte). Soit celles-ci proviennent d’un traditionaliste qui intègre les actes dans la définition de la foi, mais qui rejoint ou plus précisément qui coïncide avec les
murjites sur un point donné (interdire que la foi descende, et renoncer à l’
istithnâ). Ce dernier n’a aucun lien avec l’
irja.
Lesmurjites sortent les actes de la définition de la foi
Selon
Hamdân ibn ‘Alî el Warrâq, j’ai fait remarquer à A
hmed devant qui on avait évoqué les murjites : «
Ils disent qu’en connaissant Son Seigneur avec le cœur, on est croyant.
-
Ce sont les jahmites
qui disent cela, non les murjites
. Ces derniers disent qu’on le devient en l’attestant avec la langue tout en le mettant [ou : mais sans le mettre
]en pratique dans les actes. Tandis que les premiers disent qu’on le devient en connaissant Son Seigneur avec le cœur, mais sans le mettre
en pratique dans les actes… »
[22]
Selon un chercheur, il y aurait un manque dans le manuscrit original, et sans cet ajout entre crochets le texte ne serait pas pertinent.
[23] Pour un autre chercheur, ce passage ne pose pas de problème, puisqu’il fait allusion aux
murjiya el fuqaha qui imposaient les actes.
[24] Cette hypothèse n’est pas très convaincante, bien qu’elle prenne de l’ampleur, si l’on sait que l’auteur de la recension du recueil d’el Khallâl n’a pas signalé cette anomalie. En outre, el Khallâl semble l’avoir mise dans cette attention, comme l’indique le titre de la section, mais aussi l’annale qu’il rapporte tout de suite après et qui est celle de Shabâba ibn Suwwâr. Celle-ci colle mieux toutefois aux attentions de l’auteur, car ce fameux Shabâba confinait les actes dans la parole. En cela, il ne les intégrait pas dans la définition de la foi.
À suivre…
[1]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 1099).
[2]Majmû’ el fatâwa (7/297).
[3]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 966).
[4]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 1054).
[5]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 1056).
[6]Majmû’ el fatâwâ (3/289-290) ; (7/446).
[7]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 1056).
[8]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 1009).
[9]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 959-961).
[10]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 963).
[11]Voir :
el îmân d’Abû ‘Ubaïd (p. 22).
[12]Voir :
huliyat el awliya (7/218).
[13]Majmû’ el fatâwâ (7/510-511).
[14]Voir :
tabaqât el hanâbila (1/56).
[15]Voir :
e-sunna (n° 1061) d’el Khallâl.
[16]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 1090).
[17]Majmû’ el fatâwâ (7/253).
[18]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 978).
[19]Voir :
tabaqât el hanâbila (1/55-56).
[20]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 973).
[21]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 975).
[22]Rapporté par el Khallâl dans
e-sunna (n° 980).
[23]Voir :
barâatu ahl el hadîth wa e-sunna min bid’a el murjiya (p. 170) qui est une thèse universitaire
es magistère de Mo
hammed el Kuthaïrî.
[24]Voir :
maqâlât el Jahm ibn Safwân (p. 211) qui est une thèse universitaire
es magistère de Yâsir Qâ
dhî.