ÇáãæÖæÚ: Ibn Taïmiya, un sophiste ?
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ÞÏíã 19 Sep 2013, 04:33 PM
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Ibn Taïmiya, un sophiste ?

(Partie 3)

Le relativisme philosophique

Le relativisme[1] est une doctrine ou un mouvement de pensée qui affirme qu'il n'existe pas de vérité absolue. Il se décline dans les différents domaines de la connaissance humaine : philosophie, épistémologie, connaissance, logique, sociologie, culture, morale. Pour le relativisme, les valeurs, la morale ou l'esthétique sont variables et dépendent des circonstances socio-historiques. Le sens et la valeur des croyances, des coutumes et des comportements humains n’ont pas de références absolues. La recherche du vrai, ainsi que les notions de bien et de mal sont liées aux circonstances et n'ont donc rien d’absolu. En tant que conception philosophique, le relativisme admet la relativité de la connaissance humaine. Niant toute référence absolue, il considère que différents points de vue et points de départ sont possibles et équivalents entre eux, ce qui rend toute objectivité impossible. Rapportant tous les éléments d'une culture à l'Homme en général, il est une forme d'humanisme.

Les détracteurs du relativisme considèrent qu'il s'agit d'une théorie présentée comme irréfutable, qui n'apporte rien et qui n'explique rien, pouvant ainsi ouvrir la voie à l'irrationnel et à l'arbitraire, notamment en politique. Ils font aussi remarquer que l'affirmation selon laquelle "il n'existe aucune vérité absolue" comporte sa propre contradiction, car si elle est vraie elle, elle doit alors s'appliquer à elle-même. La première philosophie relativiste est attribuée au sophiste grec Protagoras (485-410 av. J.-C.) dont Platon rapporte la formule célèbre : "L'homme est la mesure de toute chose".[2]

Le relativisme taïmiyen

Il existe deux vérités : subjective et objective. Il faut donc distinguer entre la représentation d’un individu d’un phénomène et sa réalité extérieure ; chacun d’entre nous est soumis à un contexte historique, culturel, spatial, etc., et est tributaire de son expérience personnelle, sa morphologie, et de sa capacité intellectuelle ; ces paramètres vont influencer son jugement qui reflète sa propre réalité, sa propre vérité ; c’est dans ce sens que l’on parle de vérité subjective.

La vérité objective est la description de ce phénomène sans influence d’aucun paramètre extérieur qui tronquerait notre jugement.

Les sophistes ne font pas cette distinction et confondent entre vérité subjective et vérité objective. Il n’y a qu’une sorte de vérité, pensent-ils, et qui est la vérité subjective. C’est pourquoi, ils conçoivent que deux jugements contradictoires soient aussi vrais l’un que l’autre. Pour eux, tout jugement est conforme à la vérité extérieure, et, sur ce point, il est impossible de se tromper. Malheureusement, la chose a échappé à un contemporain, spécialiste en philosophie, en la personne de Sâmî Nâshshâr. Néo-ash’arite notoire, il est l’auteur de l’encyclopédie nash-at el fikr el falsafî fî el islâm.[3] Il impute à ibn Taïmiya le relativisme sophiste, car ce dernier distingue entre les conceptions des uns et des autres, indépendamment de savoir, si on même moment, ils ont tort ou raison.[4]

Il s’intéresse donc au cas dont il a affaire ; il n’y a qu’une vérité absolue, mais tout dépend sous quel angle on l’aborde. Ainsi, il traite souvent un phénomène sous plusieurs considérations possibles. C’est ce qui explique pourquoi certains ont parfois du mal à le suivre. Je vais donner un exemple de son discours sur les divergences dans lequel il distingue les points de vue des uns et des autres et la vérité dans l’absolu, lorsqu’il dit : « La divergence dans les lois pratiques peut, en effet, être une miséricorde, à condition que cela n’engendre pas un grand mal (de sorte qu’on en perde la bonne réponse). C’est ce qui poussa un savant à écrire un ouvrage ayant pour titre : le livre des divergences. L’Imâm Ahmed disait qu’il faudrait plutôt l’appeler : le livre de la tolérance (kitâb e-sa’a). Cela ne veut pas dire, au même moment, qu’il n’y a pas qu’une seule vérité. Il est possible également que certains gens ignorent la bonne opinion par Miséricorde divine envers eux, car ils ne supporteraient pas de la connaitre, dans le même ordre que dans le Verset : [Ne posez pas de question sur des choses, que, si elles vous étaient dévoilées, vous en seriez lésés].[5] »[6]

Ibn Taïmiya lui-même condamne le sophisme

Ce dernier critique la doctrine selon laquelle les réalités varient en fonction des croyances des uns et des autres. Il n’y aurait pas, selon elle, de réalités invariables dont on se ferait une représentation plus ou moins fidèle, mais soumises à la conception qu’on s’en fait. En d’autres termes, personne ne pourrait se tromper, car il n’y aurait pas de vérité absolue, mais relative à chacun. Il va sans dire qu’aucune personne sensée ne peut avancer une telle assertion dans l’absolu.[7]

Ailleurs, il condamne sévèrement le sophisme qui aboutit à la zandaqa ; cela revient, en effet, à annuler la Loi et la menace divine, car chacun la prendrait selon ses goûts.[8] On ouvre la porte grande ouverte au libertinage.[9] Il classe les sophistes en quatre catégories :

Ceux qui renient les réalités et la possibilité de les connaitre,
Les sceptiques qui jouent la carte de la neutralité,
Ceux selon qui les réalités varient en fonction des croyances des uns et des autres, comme nous l’avons vu plus haut.
Et enfin ceux qui reconnaissent l’existence des réalités, mais qui renient la possibilité de les connaitre.[10]

Les détracteurs de la da’wa nadjite

Le problème, c’est que Dâwûd ibn Jarjîs ne pénètre pas les nuances dont nous avons parlé plus haut. Il attribue à ibn Taïmiya et à son élève ibn el Qaïyim un discours erroné. Il s’imagine qu’ils ne condamnent pas les pratiques païennes qui étaient répandues à son époque. Pire, il s’imagine que l’erreur dans ces domaines rapporte une récompense dans l’absolu à celui qui n’en a pas connaissance. Or, il incombe de distinguer entre l’acte auquel le Législateur donne le statut d’« association », de « mécréance » ou de « perversité » et un fautif éventuel. Le fait qu’une personne peut être excusable, cela ne rend en aucun cas son acte louable. Il y a une différence entre le statut d’un acte et le statut de son auteur.[11]

L’Imam Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb lui reproche cette tendance. Il souligne que les textes d’ibn Taïmiya qu’il utilise ne vont absolument pas dans le sens qu’il leur donne.[12] Il s’attaque ainsi, tout comme le fera plus tard Sheïkh Abâ Btîn,[13] au cœur des revendications d’ibn Jarjîs et de ‘Uthmân ibn Mansûr, qui, malheureusement, reçut sa mauvaise influence. Ces derniers prétendaient, en s’appuyant sur des textes d’ibn Taïmiya et d’ibn el Qaïyim, que tous les ignorants sans détail étaient excusables. Or, l’ignorance n’est pas une excuse en elle-même, mais l’incapacité d’avoir accès à la vérité, à condition, bien sûr, de la rechercher.

L’ouvrage kitâb mufîd el mustafîd fî kufr târik e-tawhîd fut consacré en réponse à Sulaïmân ibn ‘Abd el Wahhâb, le frère de l’Imam qui reniait le takfîr mu’aïyin dans l’absolu. Paradoxalement, il considérait que l’istighâthâ bi ghaïr Allah était du shirk asghar.[14] Ce dernier utilisait notamment le discours d’ibn Taïmiya qui s’abstenait, comme nous l’avons vu, de se prononcer sur un cas particulier avant l’iqâma el hujja. En s’inspirant d’exemples historiques et de certains passages d’ibn Taïmiya, l’Imam démontre que cette allégation est née d’une confusion énorme. Nous avons qu’ibn Taïmiya taxe d’apostats plusieurs zindîq.

Ainsi, contrairement à la tendance des murjites, pour ibn Taïmiya et les traditionalistes en général, après l’iqâma el hujja, tout individu qui commet du shirk akbar devient mécréant.

Voici un passage éloquent de ce fameux ouvrage : « Désobéir au Messager (r) dans le domaine de l’association et de l’adoration des idoles, relève, après avoir transmis le message, de la mécréance manifeste. Et cela, conformément à la nature, la raison, et aux notions élémentaires de la religion. Si on demandait au plus idiot des hommes : quel est ton avis sur celui qui désobéit au Messager (r), et qui ne se soumet pas à ses enseignements enjoignant de délaisser l’adoration des idoles et l’association, bien qu’il prétende être un musulman conforme au Prophète (r) ? Il répondra spontanément et de façon élémentaire qu’il est un kâfir. Il n’a même pas besoin d’étudier la question pour le savoir ni de questionner un savant. Cependant, les périodes où l’ignorance est répandue et où le savoir est devenu étranger, et où se multiplient les mulhidîn abordant ce sujet, la question est devenue confuse chez certains gens simples parmi les musulmans, qui aiment pourtant la vérité…

L’histoire du Prophète (r), de ses Compagnons, et des savants venus par la suite, est l’un des meilleurs moyens à même de dissiper cette confusion. Elle met en lumière la façon dont ils se comportèrent avec certaines catégories d’individus qui étaient pourtant affiliés à l’Islam. Notamment, le Prophète (r) confia à el Barrâ ibn ‘Âzib, muni de son étendard, de se rendre chez un homme qui s’était marié avec la femme de son père, pour le tuer et prendre ses biens.

Autre exemple : ils voulaient organiser une expédition punitive contre la tribu des Banû Mustalaq quand on lui apprit qu’ils refusaient de verser la zakât.

Autre exemple : Abû Bakr e-Siddîq et les Compagnons de son époque combattirent les réfractaires à la zakât. Il fit capturer leurs familles, prit leurs biens en butin, et leur donna le nom d’apostats…

Autre exemple : ‘Alî (t) jeta au bûcher ceux qui faisaient de l’excès sur sa personne…

Autre exemple : el Ja’d ibn Dirham, qui était pourtant connu pour son savoir et sa piété, fut jugé apostat à l’unanimité des successeurs des Compagnons (tâbi’îns) et des savants, etc.

Personne, parmi les premières et les dernières générations, n’a jamais reproché au premier Khalife ou à d’autres d’avoir combattu les Banû Hanîfa, sous prétexte qu’ils se soumettaient à l’attestation de foi, la prière et la zakât…

On n’a jamais entendu personne, parmi les premières et les dernières générations, reprocher ce comportement, ou ne serait-ce que de se poser des questions dessus. Personne n’a jamais trouvé étrange qu’on puisse tuer des individus affiliés à l’Islam, parce qu’ils prononçaient l’attestation de foi, ou qu’ils affichaient certains piliers de la religion. Seuls ceux d’aujourd’hui émettent de telles objections ! »[15]

À suivre…





[1] Le relativisme est un « mouvement de pensée qui traverse les siècles depuis l'Antiquité gréco-romaine », pour désigner un ensemble de doctrines variées qui ont pour point commun de défendre la thèse selon laquelle le sens et la valeur des croyances et des comportements humains n’ont pas de références absolues qui seraient transcendantes. Le succès du relativisme culturel à partir de la seconde moitié du XXe siècle, et à visée politique dans les années 1980, en Occident, a assuré la primauté et même l’exclusivité à ce sens du mot. Les détracteurs du relativisme, comme Alan Sokal, ont fait remarquer que l'affirmation selon laquelle « il n'existe aucune vérité absolue » est trivialement autocontradictoire. En effet, si la proposition est admise comme vraie, alors elle doit s'appliquer à elle-même, et est en conséquence fausse.

L'énoncé simplificateur « Tout est relatif » pourrait être soumis à cette démonstration. En fait, cet énoncé n'est jamais employé par les relativistes, sauf par boutade.

Le pragmatisme, une forme de relativisme moderne, est plus une attitude philosophique qu'un ensemble de dogmes. « Pragmatisme » vient du grec pragma, action, ce qui atteste du souci d'être proche du concret, du particulier, de l'action et opposé aux idées abstraites et vagues de l'intellectualisme. Il s'agit en fait d'une pensée radicalement empiriste : la notion d'effet pratique est étroitement liée à la question de savoir quels effets d'une théorie sont attendus dans l'expérience. Pour William James, l'application la plus célèbre de la méthode pragmatiste concerne le problème de la vérité. Cela consiste à dire que le vrai absolument objectif n'existe pas, car on ne peut séparer une idée de ses conditions humaines de production. La vérité est nécessairement choisie en fonction d'intérêts subjectifs. James développe souvent l'idée selon laquelle « "le vrai" consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre pensée. » (Ref. Wiki.)

[2] http://www.toupie.org/Dictionnaire/Relativisme.htm

[3] http://ashhab2.blogspot.com/

[4] http://islamtoday.net/nawafeth/artshow-86-14420.htm

[5] Le repas céleste ; 101

[6] Majmû’ el fatâwâ (14/159).

[7] Majmû’ el fatâwâ (19/135).

[8] Majmû’ el fatâwâ (19/144-145).

[9] Voir pour plus d’information : http://www.saaid.net/Warathah/Alkharashy/m/58.htm

[10] E-safdiya (1/97-98).

[11] Idem.

[12] kashf e-shubhataïn (p. 80-81).

[13] Sheïkh ‘Abd Allah Abâ Btîn se chargea donc de réfuter la tendance erronée véhiculée par Dâwûd ibn Jarjîs et ibn ‘Ajlân. Ces deux hommes l’imputaient à ibn Taïmiya et son élève ibn el Qaïyim comme nous l’avons vu. Ils prétendaient que l’erreur d’interprétation rapportait systématiquement une récompense en plus du fait qu’elle était excusable. Ils voulaient faire passer l’idée que seul un obstiné pouvait sortir de l’Islam. Le suivisme aveugle et l’ignorance seraient, à leurs yeux, dans tous les cas excusables.

[14] Sulh el ikhwan min ahl al-imam (p. 121) ; voir également : e-sawâ’iq el ilâhiya de Sulaïmân ibn ‘Abd el Wahhâb (p. 6).

[15] Idem. (6/214-215).

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