ÇáãæÖæÚ: Jahm ibn Safwân
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ÞÏíã 01 Jun 2013, 03:27 PM
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Jahm ibn Safwân

(Partie 4)

La « métaphysique » selon Jahm

À la lumière du point précédent, sur les pas de l’élite helléniste, Jahm confine la foi dans la connaissance du créateur. Dans son long cheminement vers la béatitude, à ses yeux, le croyant aurait pour mission de prouver l’existence de Dieu par la raison. Pour ce faire, il introduisit dans les rangs des musulmans, l’arme favorite des futurs mutakallimûn, qu’ils doivent à Platon, la théorie de l’accident (le dalîl el a’râdh wa hudûth el ajsâm). L’idée est de prouver que le monde a un début, et par voie de conséquence, qu’il existe une force créatrice (indépendamment de savoir si elle est passive ou non) l’ayant précédé. Jahm ibn Safwân est le premier porte-parole dans l’absolu de cette tendance ; Abû el Hudhaïl el ‘Allâf est le premier mu’tazilites à l’avoir emprunté à Jahm[1] ; ibn Kullâb l’a introduit dans le kullâbisme sous l’influence des jahmites négateurs ; les ash’arites l’ont hérité directement d’ibn Kullâb.[2]

Toutes ces tendances partent d’un seul et unique principe selon lequel tous les corps sont contingents (hudûth el ajsâm), étant donné qu’ils sont obligatoirement soumis aux accidents. Ils en concluent que tout attribut et action sont tributaires d’un corps.[3] C’est la raison pour laquelle ils refusent l’idée selon laquelle Allah aurait un corps, car cela impliquerait fatalement, selon leurs dires, qu’Il serait contingent. Il perdrait ainsi Sa particularité fondamentale d’existence prééternelle, à partir de laquelle Il tire Son Nom d’Être nécessaire (wâjib el wujûd).

À partir de ce principe, ils renient en tout ou en partie (en fonction de leur degré de négation) les Attributs et les Actions d’Allah dans le but de L’exempter du caractère contingent qui est propre aux êtres possibles (mumkin el wujûd).

En un mot, ils font passer le ta’tîl (négations des Noms et Attributs divins) sous le slogan fallacieux d’exempter le Créateur de tout défaut.[4] C'est pourquoi ils le décrivent avec des Attributs négatifs, qui correspondent à ceux qu’on ne peut, aux yeux des mutakallimîns, attribuer au Très-Haut et qui ne siéent pas à Sa Majesté. Ce procédé s’inspire de la théologie négative, qui est une approche de la théologie qui consiste à insister plus sur ce que Dieu n’est pas que sur ce que Dieu est.

C’est dans cet esprit que Jahm renie l’éternité de l’Enfer et du Paradis. Il se fie dans sa démarche sur le postulat philosophique selon lequel, un accident a forcément un début dans le passé. Sinon, cela reviendrait à un enchainement d’accidents sans fin, ce qui est logiquement impossible. Jahm va plus loin en extrapolant ce phénomène à l’avenir et infirme catégoriquement l’idée qu’un accident (l’Enfer ou le Paradis en l’occurrence) puisse demeurer à l’infini. Conclusion, le Paradis et l’Enfer vont s’éteindre un jour. Pour sa part, Abû el Hudhaïl, relativise ce propos, et se contente de dire que seuls les mouvements dans la demeure éternelle cesseront tôt ou tard.[5]

L’origine du dalîl el a’râdh wa hudûth el ajsâm

Les anciens grecs baptisaient la divinité absolu d’Intellect on d’Intellect actif (qui est exempt de matière selon la définition de Shihristânî[6]), de Substance pour certains avec les particularités qu’ils lui donnent,[7] de Principe ou de Cause première.[8]

Aristote prouve l’existence de la Cause première en se basant sur le mouvement des astres. Si l’Univers bouge, selon lui, c’est uniquement dans la mesure où il cherche à ressembler ou à prendre exemple sur la Cause première.[9] Il est même possible qu’il imagine une relation d’attirance entre eux, comme l’amant est attiré par sa bien-aimée.[10] Pour lui, Dieu n’a rien créé et n’est l’auteur d’aucune action.[11]

L’élève de Platon ne fait que reprendre à son maitre l’idée qu’il va développer à sa façon.

Aristote serait le premier à avoir soutenu la prééternité de l’univers.[12] Or, Shihristânî un hérésiographe très sérieux aux dires de l’orientalisme moderne ramène un texte du Stagirite dans lequel il affirme le contraire.[13] Plusieurs hypothèses sont avancées pour résoudre cette énigme, mais nous nous contenterons d’en avancer qu’une.

Après la chute de l'Empire romain d'Occident, un texte se diffusa dans le monde arabe, sous le nom de Théologie d'Aristote. Ce texte fut longtemps attribué, à tort, à Aristote et influença plusieurs penseurs arabes parmi lesquels Al-Kindi, Al-Fârâbî et Avicenne. Ce document ne nous est plus connu que partiellement, et dans des versions diverses, ce qui rend son étude très difficile.

En tout cas, la Théologie d'Aristote n'a rien à voir avec le penseur du même nom. Le contenu du texte semble en réalité être la préparation de la traduction arabe des Ennéades de Plotin à partir du grec. Bien que l'origine de ce texte soit difficile à établir, il pourrait toutefois remonter au VIe siècle. L'identité du véritable auteur de ce texte est encore débattue, mais Porphyre n'aurait rien à voir avec celui-ci.[14] C’est probablement ce texte qui aurait induit en erreur Shihristânî, wa Allah a’lam !

Le D. Davidson émet pour sa part l’hypothèse que finalement le « Philosophe » avait tout simplement deux opinions sur la chose ; sa pensée ayant évolué.[15]

Quoi qu’il en soit, là où Aristote ou les néoplatoniciens parlaient de matière et de forme, les mutakallimîns eux, parlent d’accident et de nomade (nous avons parlé de ce point en détail dans l’article : Ibn Taïmiya et le tarkîb I). Nous ne voulons pas entrer ici sur la controverse entre les philosophes et les mutakallimîns sur la prééternité de l’Univers ; ce qui nous intéresse, c’est de mettre l’accent sur la similitude du raisonnement, quand bien même ils arriveraient à des conclusions différentes, ce qui est facilement explicable.

Jean Damascène, le dernier ou l’un des derniers Pères de l’Église, avait également cette approche.[16] Aux dires du spécialiste du Kalâm Harry A. Wolfson, il aurait servi de relais aux mutakallimîn qui l’ont, par la suite, reprise à leur compte.[17] C’est ce qui nous amène au point suivant :

L’influence judéo-chrétienne

Nous avons parlé plus haut de l’influence orientale (hindouiste) sur la pensée de Jahm. Nous avons également subrepticement dessiné le portrait de la philosophie sabéenne, son autre influence. En réalité, très peu d’informations nous sont parvenues sur celle-ci. Nous savons juste que ses tenants ont falsifié la prophétie de façon plus accentuée que chez les Juifs et les chrétiens.[18] Néanmoins, en nous penchant vers le patrimoine grec, qui, lui, est largement disponible, nous nous rendrons compte de la similitude grossière avec la pensée de Jahm, et par voie de conséquence, avec la pensée sabéenne.

Thales, l’un des « sept sages », philosophait déjà à son époque sur le Théo.[19] La pensée helléniste imaginait une force immatérielle, la cause première, à l’origine de la création. Pour la décrire, Platon préconise de l’aborder sous l’angle de la négation, pour éviter toute comparaison avec le monde sensible (voir : théologie négative). Simple, immuable, et indivisible, l’Un n’aurait aucune caractéristique qui trahirait la multitude et la composition. Aristote, qui reprendra le flambeau, appuie l’idée que le premier intellect est dépourvu de toute entité réelle. « Immobile », « infini », et « un » sont les trois seuls attributs qu’il est possible de lui accorder.[20]

Le disciple reste dans l’optique du maitre en variant les termes ; immobile n’est rien d’autre qu’immuable, dans le sens où l’Un serait dépourvu de tout attribut volontaire, et donc de tout mouvement. Il prend toutefois ses distances avec son prédécesseur quand il établit la prééternité du monde, dont l’existence serait concomitante à celle du premier intellect, l’« infini». Et « un », enfin, renvoie au « simple » platonicien. Copleston, un philosophe contemporain, résume très bien l’idée. Il explique en un mot que Dieu, qui appartient au monde des idées, n’a aucune caractéristique matérielle, propre aux corps. Il n’a aucun agissement dans l’ordre du monde (il n’a aucune volonté ni ambition) et n’a pas pour vocation d’être aimé ni adorer.[21] (Pour plus de détails voir en annexe : Plotin et Thomas d’Acquin).

Cette conception métaphysique du divin est très tangible chez les mu’tazilites, les successeurs directs de Jahm.[22]

À suivre…




[1] Majmû’ el fatâwâ (13/305) et minhâj e-sunna (8/5).

[2] Naqdh ta-sîs el jahmiya d’ibn Taïmiya (1/46, 54).

[3] Dar-u ta’ârudh el ‘aql wa e-naql (1/305).

[4] El jawâb el fâsil bi tamyîz el haqq mi el bâtil d’ibn Taïmiya qui fut imprimé dans la revue majallat el buhûth el islâmiya (n° 29 p. 309-310).

[5] minhâj e-sunna (1/310).

[6] El milal wa e-nihal (p. 379).

[7] Mi’yâr el ‘ilm fî fann el mantiq d’el Ghazâlî (p. 280-281).

[8] Idem. (p. 312-313) ; pour plus de détails sur le concept de Cause voir : E-ta’rifât d’el Jurjânî (p. 155-156).

[9] Minhâj e-sunna d’ibn Taïmiya (2/132).

[10] Idem.

[11] Majmû’ el fatâwâ d’ibn Taïmiya (1/49).

[12] Voir Mawqif Sheïkh el Islam ibn Taïmiya min el falâsifa par le D. Sâlih el Ghâmidî (250-251).

[13] El milal wa e-nihal (p. 1/465).

[14] Cette Théologie d'Aristote a été publiée, en anglais, dans le deuxième volume des Plotini Opera.

[15] Proofs for Eternity, Creation and the Existence of God (p. 142).

[16] The Orthodox Faith (1/3).

[17] The philosophy of the kalam Wolfson (p. 408)

[18] E-tis’îniya d’ibn Taïmiya (1/259).

[19] El milal wa e-nihal de Shihristânî (2/370).

[20] Motion of Motion’s God de Bukly (p. 68).

[21] History of Philosophy (1/214).

[22] The philosophy of the kalam Wolfson (p. 223, 224, 226)


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